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crois pas pour cela que « tu trembles avant le « son de la trompette[1] », ou que l’envie de voir combattre les autres te fasse désirer d’être sitôt mis au nombre des prisonniers. — À ce moment, Trygétius s’apercevant que nos visages avaient suffisamment retrouvé leur sérénité : Pourquoi, dit-il, un aussi saint homme que lui ne souhaiterait-il pas que Dieu lui accordât cette grâce avant même qu’il l’en priât ? Crois enfin, Licentius ; car, puisque tu ne trouves rien à répondre et que tu sembles même désirer d’être vaincu, tu parais avoir peu de confiance en ta cause. — Nous ne pûmes nous empêcher de rire, et Licentius répondit Parle donc, toi, qui sais être heureux sans trouver et même sans chercher la vérité. —

19. L’enjouement de nos jeunes gens nous rendit plus gais : Fais attention à ma demande, dis-je à Licentius, et reviens au combat avec plus de fermeté et de courage si tu peux. — Me voici avec toute ma bonne volonté, répliqua-t-il. Et si cet homme, qui voit mon frère, a appris par la renommée qu’il ressemble à mon père, est-il sot ou mais de le croire ? — On peut au moins l’appeler un sot, dis-je. — Non pas tout d’abord, reprit-il, à moins qu’il ne soutienne qu’il sait ce qu’il dit. Car s’il croit probable ce que la renommée lui a appris, on ne peut pas l’accuser de témérité. — Examinons, lui dis-je, un peu la chose et mettons-la pour ainsi dire devant les yeux. Suppose donc que ce je ne sais qui dont nous parlons est ici présent : ton frère arrive de quelque part. De qui est-il fils, demande cet homme ? D’un certain Romanien, répond-on. Et aussitôt il reprend : oh ! qu’il ressemble à son père ! Comme j’avais été bien informé par la renommée ! À ces mots, toi ou tout autre vous lui dites : Tu connais donc Romanien, mon bon homme ? Non pas, répond-il, cependant je trouve que son fils lui ressemble beaucoup. Qui pourrait alors s’empêcher de rire ? — Personne, dit, Licentius. — Tu, vois donc enfin la conséquence ? ajoutai-je. — Je la vois depuis longtemps. Cependant je voudrais t’entendre la tirer toi-même : car il faut que tu commences à nourrir l’oiseau que tu as pris. — Qu’ai-je donc à conclure, lui dis-je ? Tout ne crie-t-il pas qu’il faut également rire de tes académiciens, quand ils disent qu’en cette vie, ils s’attachent au vraisemblable, tandis qu’ils ne savent même pas ce que c’est que le vrai.

CHAPITRE VIII.

SUBTILITÉ DES ACADÉMICIENS.

20. La prudence des académiciens, dit alors Trygétius, me semble bien loin de la sottise de l’homme que tu viens de représenter. Car c’est par le raisonnement que les académiciens cherchent ce qu’ils nomment le vraisemblable, tandis que ton imbécille s’en rapporte à la renommée dont l’autorité est tout ce qu’il y a de plus méprisable. — Mais, répondis-je, ne serait-il pas encore plus mais s’il disait : — Je ne connais point ; le père de ce jeune homme ? La renommée ne m’a point dit combien il lui est semblable, cependant je trouve qu’il lui ressemble. Assurément, dit-il, il serait encore plus niais. Mais à quoi bon tout cela ? — C’est, répliquai-je, parce que ceux-là sont aussi sots qui disent : Nous ne connaissons point le vrai, mais ce que nous voyons est semblable à ce vrai que nous ne connaissons pas. — Ils disent seulement, reprit-il, que cela est probable. Comment peux-tu parler de la sorte, répondis-je ? Ne conviens-tu pas qu’ils disent que cela est vraisemblable ? — J’ai voulu le dire pour exclure cette ressemblance. Car il me semblait que vous aviez eu tort de mêler la renommée à votre discussion, puisque les académiciens ne s’en rapportent pas même aux yeux des hommes, loin de s’en rapporter aux yeux innombrables et monstrueux de la renommée, comme l’ont imaginé les poètes. Moi qui défends les académiciens, qui suis-je enfin ? est-ce que dans cette question vous enviez ma sécurité ? Voici Alype qui arrive ; que ce soit pour nous, je te prie, un peu de répit ; nous pensons depuis longtemps que ce n’est pas en vain que tu redoutes son arrivée.

21. Alors, après avoir fait silence, tous les deux tournèrent leurs regards vers Alype : Je voudrais, dit celui-ci, dans la mesure de mes forces, être de quelque secours pour votre parti, si votre souhait ne m’effrayait pas, mais j’échapperai aisément à cette crainte, si mon espérance ne me trompe pas. Car ce qui me console, c’est que cet adversaire des académiciens, après s’être chargé du rôle de Trygétius presque vaincu, est probablement vainqueur, d’après votre aveu. Je crains plus de ne pouvoir éviter le reproche d’avoir failli à mon emploi pour prendre trop témérairement celui d’un autre.

  1. Enéide, liv. 2, v.424.