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de celui qui demande ce que l’on entend par marcher ? Je le crains, car on n’a pas montré complètement, selon moi, en quoi consiste cette chasse aux oiseaux. — Aug. Il est facile de te délivrer de cette inquiétude. Je suppose donc encore que ce spectateur serait assez intelligent pour se faire une idée de tout cet art par ce qu’il en a vu. Il nous suffit en effet que sur un nombre limité de matières on puisse, sans aucun signe, instruire quelques hommes seulement. — Ad. Mais aussi je puis ajouter, de celui dont j’ai parlé, que s’il est bien intelligent, quelques pas suffiront pour lui faire comprendre ce que c’est que marcher.— Aug. Je te le permets, et loin de m’y opposer je t’y engage.

Tu vois en effet que tous deux nous arrivons à cette conclusion : Il est des choses que l’on peut enseigner sans employer des signes ; et nous avons eu tort de croire, comme nous le faisions naguère, que rien absolument ne peut se montrer sans ce moyen. Je vois maintenant, non pas un ou deux, mais des milliers d’objets qui se révèlent par eux-mêmes et sans signes. Comment en douter, je te demande ? Sans parler des hommes, de leurs théâtres et des spectacles sans nombre où ils montrent la réalité sans le recours à aucun signe, est-ce que Dieu, est-ce que la nature ne mettent pas sous nos yeux ce soleil et cette lumière qui éclairent et font tout briller dans l’univers, la lune et les astres, les terres et les mers et les êtres innombrables qu’elles produisent.

33. Mais en considérant avec une attention nouvelle, que trouveras-tu dont nous nous instruisions par signes ? En vain on me fait un signe, il ne peut rien m’apprendre si j’ignore ce qu’il rappelle ; et si je le sais, que m’apprend-il ? Quand je lis : « Et leurs saraballes ne furent point altérées, » le mot ne me fait point voir l’objet dont il est question. Si ce nom désigne quelques ornements de tête, est-ce que j’apprends, quand on le prononce, ce que l’on entend par tête ou par ornements ? Je le savais auparavant ; et cette connaissance m’était venue, non en les entendant nommer par d’autres, mais en les voyant moi-même. La première fois que mes oreilles furent frappées du bruit de ce dissyllabe tête, j’étais aussi étranger à sa signification qu’en entendant ou en lisant pour la première fois le terme de saraballes. Mais à force d’entendre répéter le mot tête, je m’aperçus qu’il était le nom de ce que je connaissais parfaitement pour l’avoir vu. Ce n’était pour moi qu’un son avant cette remarque ; je sus qu’il était un signe quand j’eus appris ce qu’il signifiait et ce que j’avais vu par moi-même, comme je l’ai dit. Ainsi le signe s’apprend plutôt après la chose qu’il ne l’apprend lui-même.

34. Afin de le comprendre plus clairement, suppose que pour la première fois nous entendons le mot tête. Nous ignorons si cette parole n’est qu’un son ou si de plus elle est un signe. Nous cherchons à connaître alors, non pas, qu’il t’en souvienne, la tête elle-même, mais le signe entendu ; car nous ignorons ce signe tant que nous ne connaissons pas à quoi il se rapporte. Eh bien ! si pour répondre à nos désirs on nous indique du doigt la tête elle-même, nous apprenons en la voyant la valeur du signe que nous avions entendu sans le comprendre.

Dans ce signe il y a deux choses : le son et la signification. La perception du son ne nous vient pas du signe, mais du son même qui frappe l’oreille. Quant à la signification, nous la connaissons en voyant son objet. En effet, cette indication de mon doigt ne peut désigner d’autre objet que celui vers lequel elle se dirige. Or elle se dirige vers la tête elle-même et non vers le signe qui la rappelle. Comment donc cette indication pourrait-elle me faire connaître soit la tête, puisque je la connaissais, soit son signe, puisque ce n’est pas vers lui que je dirige mon doigt ? Et encore je m’inquiète assez peu de cette indication ; car elle me semble rappeler plutôt que l’on montre, qu’elle ne montre l’objet lui-même. Ainsi en est-il de l’adverbe voilà. Si en le prononçant nous y joignons habituellement l’indication du doigt, c’est dans la crainte qu’un signe unique ne soit pas suffisant.

Et ce que je m’efforce surtout de te persuader, s’il est possible, c’est que nous n’apprenons rien par le moyen des signes nommés paroles ; car comme je l’ai dit, ce n’est pas le signe qui nous donne la connaissance de la chose, mais plutôt la connaissance de la chose nous fait connaître la valeur du mot, c’est-à-dire le sens caché dans le son.

35. Je puis appliquer aux ornements et à une infinité d’autres objets ce que j’ai dit de la tête. Je connaissais ces ornements, mais j’ignorais jusqu’alors qu’on les désignât sous le nom de saraballes. Si on me les indique du geste, si