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signe : je n’en excepte que les deux cas dont je viens de parler.

30. Aug. J’agrée ce que tu dis. Mais ne te semble-t-il pas qu’autre chose est parler et autre chose instruire ? — Ad. Il me semble assurément que c’est autre chose, sans quoi on n’enseignerait jamais qu’en parlant. Or, puisqu’on enseigne souvent avec d’autres signes que les paroles, qui doutera qu’il y ait une différence ? — Aug. Mais entre instruire et désigner, y a-t-il, oui ou non, encore une différence ? — Ad. Je crois qu’il n’y en a point.— Aug. Dire que nous désignons pour instruire, n’est-ce pas bien parler ? — Ad. C’est très-bien parler. — Aug. Et si quelqu’un prétendait que nous instruisons pour désigner, ne serait-il point facile de le réfuter par cette réflexion que tu viens d’approuver ? — Ad. Oui. — Aug. Si donc nous désignons pour instruire et si nous n’instruisons pas pour désigner, instruire est différent de désigner. — Ad. Tu dis vrai et j’ai eu tort de répondre que l’un est la même chose que l’autre.

Aug. Réponds maintenant à ceci : Peut-on enseigner autrement que par signe ce que c’est qu’enseigner ? — Ad. Je ne vois pas de quelle autre manière on le pourrait. — Aug. Ce que tu as dit tout à l’heure est donc faux, savoir qu’on peut sans signes enseigner ce que c’est qu’enseigner lorsqu’on est interrogé sur ce point. Il est clair effectivement qu’on ne peut le faire sans recourir à des signes, puisque, de ton aveu, désigner est autre chose qu’enseigner. Et s’il y a différence entre ces deux termes, comme il est manifeste, si de plus, l’un ne s’éclaircit que par l’autre, il ne se fait point connaître par lui-même, ainsi que tu le croyais. C’est pourquoi, à l’exception du langage qui s’explique lui-même comme il explique le reste, nous n’avons encore rien découvert qu’on puisse montrer sans signe ; et le langage lui-même étant un signe, il n’y a absolument rien, je crois, que fon puisse enseigner sans signes. — Ad. Je n’ai aucune raison de te contredire.

31. Aug. Il est donc prouvé qu’on n’enseigne rien sans signes, et que la connaissance nous doit être plus chère que les signes qui la communiquent. Il est possible néanmoins que tous les objets ne soient pas préférables à ce qui en est le signe. — Ad. Je le crois. — Aug. Mais par combien de circuits sommes-nous parvenus à un résultat si minime ! T’en souvient-il ? Depuis, et il y a longtemps, que nous combattons à coups de paroles, nous avons travaillé à résoudre trois questions : 1° S’il n’est rien qu’on puisse enseigner sans signes ; 2° s’il est des signes qu’on doive préférer aux objets qu’ils rappellent ; et 3° si la connaissance des choses l’emporte sur les signes.

Mais voici une quatrième question dont je voudrais apprendre de toi la solution en peu de mots : Crois-tu comprendre ces vérités au point de ne pouvoir plus en douter ? — Ad. Je voudrais que par tant de circuits et de détours, on fût parvenu à la certitude. Mais je ne sais ce qui me préoccupe dans ta question et m’empêche d’y répondre affirmativement. Il est vraisemblable que tu ne me l’aurais point adressée, si tu n’avais quelque objection à élever contre elle. J’y vois une complication nui m’empêche de tout considérer et de répondre tranquillement ; je crains qu’il n’y ait dans ses obscurs replis quelque chose qui échappe au regard de mon esprit. — Aug. Cette hésitation me plaît, elle prouve que tu n’es point téméraire, et il importe de ne l’être pas pour conserver la paix ; car il nous est difficile, de ne point nous troubler lorsque dans le conflit de la discussion on ébranle, et on nous arrache en quelque sorte des mains les convictions que nous gardions avec bonheur. Autant donc il est juste de céder, quand où â bien considéré et bien compris les raisons ; autant il est dangereux de prendre l’inconnu pour le connu. Si nous voyons tomber ce que nous regardions comme des vérités fermes et inébranlables, n’est-il pas à craindre que le contre-coup ne nous jette dans la haine ou la peur du raisonnement, et que nous ne refusions de croire aux vérités le mieux démontrées ?

32. Revenons et examinons en peu de mots si ton doute est fondé. Supposons un homme qui ne sait comment les oiseaux se prennent aux roseaux et à la glu. Il rencontre un oiseleur qui, chargé de sou attirail, ne tend pas encore, mais chemine. À cette vue, il presse le pas ; puis, étonné comme il doit l’être, il se demande pourquoi tout cet appareil. Frappé de l’attention qu’il porte sur lui, l’oiseleur, pour montrer son adresse, prépare ses roseaux, et apercevant quelque oiseau à sa portée, il le frappe d’un coup de flèche et d’épervier, le prend et l’enlève. Ne serait-ce point, sans employer aucun signe, montrer au spectateur, par la réalité même, ce que celui-ci désirait savoir ?

Ad. Mais ne verrait-on pas ici ce que j’ai remarqué