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exposent et développent, sans parler et en gesticulant, des drames tout entiers. — Ad. Je n’ai qu’une remarque à t’opposer c’est que l’histrion en gesticulant n’est pas plus capable que moi de t’expliquer sans parler ce que signifie la préposition ex.

6. Aug. Tu dis peut-être vrai. Supposons toutefois qu’il le puisse : quel que soit le geste auquel il aura recours pour me montrer la signification de ce mot, tu ne doutes pas, vraisemblablement, que ce geste sera encore un signe, non la chose elle-même ? Lui donc aussi expliquera, non pas un mot par un mot, mais un signe par un autre signe. Le monosyllabe ex et le geste auront alors la même signification, et c’est cette signification que je demande à voir autrement que par des signes. — Ad. De grâce, comment peut-elle se montrer ainsi ? Aug. Comme l’a pu la muraille. — Ad. Mais la marche du raisonnement l’a prouvé ; on ne peut, sans signes, montrer la muraille elle-même. Car l’indication du doigt n’est pas la muraille, elle est seulement le signe qui la montre. Ainsi donc je ne vois rien qu’on puisse montrer sans employer de signe.

Aug. Si je te demande ce qu’on entend par marcher et si alors tu te lèves et marches, ne me répondras-tu point par la chose même plutôt que par des paroles ou d’autres signes ? — Ad. Je l’avoue et je rougis de n’avoir pas vu une chose aussi claire. Elle me suggère même l’idée de milliers d’actions qu’on peut montrer par elles-mêmes et non par des signes ; comme manger et boire, s’asseoir et se tenir debout, crier et une infinie quantité d’autres actes.— Aug. Allons, dis-moi maintenant comment me répondrais-tu si tu marchais et que je vinsse à te demander ce que c’est que marcher ? — Ad. Je marcherais un peu plus vite pour faire cette sorte de réponse à ta question, et je ne ferais ainsi que l’action que je devrais te montrer.— Aug. Sais-tu que marcher est différent de se presser ? Quand on se met en marche on ne presse pas aussitôt le pas, et quand on se presse on ne marche pas toujours ; puisque nous disons qu’on se presse même en écrivant, en lisant et en faisant une infinité d’autres choses. Si donc après ma question tu faisais plus vite ce que tu faisais auparavant, j’en conclurais que marcher n’est autre que se presser ; car tu ne m’aurais montré que plus de rapidité et e est ce qui trio jetterait dans l’erreur. — Ad. Je le confesse, on ne peut montrer, sans l’emploi de quelque signe, ce que l’on fait, si on le fait au moment même de la question. En effet, si nous ne faisons rien de nouveau, l’interrogateur s’imaginera que nous refusons de lui répondre et que par mépris nous continuons ce que nous avons commencé. Mais s’il demande ce que nous pouvons faire et qu’il ne le demande point au moment où nous le faisons déjà, nous pouvons, en le faisant après sa question, le lui expliquer par la chose elle-même plutôt que par signe.

Si cependant il voulait savoir de moi quand je parle, ce que c’est que parler, quoique je lui dise pour le lui faire entendre, il me faudra parler. Je continuerai donc jusqu’à ce qu’il ait compris, ne cessant point l’action dont il veut connaître la nature et ne cherchant, pour la lui montrer, d’autres signes que cette action même.

Chapitre IV. Faut-il des signes pour indiquer les signes ?

7. Aug. Cette remarque est pleine de pénétration. Vois donc si maintenant nous sommes d’accord que nous pouvons montrer sans signes, soit ce que nous ne faisons pas au moment de la question et que nous pouvons faire à l’instant même, soit les signes que nous pouvons produire alors, comme la parole qui consiste à faire des signes, d’où vient le mot signifier. — Ad. Nous en sommes d’accord. — Aug. Si donc on nous interroge sur certains signes nous pouvons expliquer ces signes par des signes ; vrais si c’est sur des choses qui ne soient pas des signes, nous pouvons en montrer la nature, soit en les faisant après la question, quand elles sont possibles, soit en produisant des signes qui les fassent remarquer ?

Ad. Examinons d’abord, s’il te plaît, la première de ces trois propositions, savoir qu’on peut expliquer les signes par des signes. N’y a-t-il en effet que les paroles qui soient des signes ? — Ad. Il en est d’autres. — Aug. Il me semble donc qu’en parlant nous désignons, par (les mots, ou les mots eux-mêmes, ou d’autres signes, comme le geste quand nous discourons et les lettres quand nous écrivons, car ce qui est signifié par ces deux derniers termes, le geste et les lettres, est aussi le signe de quelque chose ; ou bien nous désignons encore quelqu’