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Que faisons-nous donc ? Ce mot ne désigne-t-il point, non une chose qui n’existe pas, mais plutôt l’impression de l’esprit qui ne la voit pas et qui a découvert ou cru découvrir qu’elle n’existe point ? — Ad. Voilà peut-être ce que je cherchais à expliquer.— Aug. Passons Outre satins examiner davantage, pour ne pas tomber dans la plus grande absurdité. — Ad. Laquelle ? — Aug. Ce serait d’être retenus par rien, nihil, et de nous y arrêter.— Ad. La chose serait ridicule ; je ne sais cependant comment il me semble qu’elle peut arriver ; elle est même déjà faite.

4. Aug. Si Dieu le veut, nous comprendrons plus parfaitement en son lieu cette espèce d’absurdité. Pour le moment reviens au vers cité et travaille de toutes tes forces à montrer ce que signifient les autres termes. — Ad. La préposition ex est la troisième expression : nous pouvons, je crois, la remplacer par de. — Aug. Je ne te demande pas de substituer à un mot connu à un autre mot qui le soit également et dont la signification soit la même. Ici cependant la signification est-elle sûrement la même ? Mais accordons-le pour le moment. Au lieu de ex tanta urbe, si le poète avait mis de tanta, et si je te demandais ce que signifie de, tu répondrais sans doute : ex, puisque ces deux mots, c’est-à-dire ces deux signes, expriment, selon toi, une seule idée. Or ce que je cherche, moi, c’est cette seule idée que j’ignore.— Ad. La préposition me semble signifier ici qu’une chose est séparée d’une autre où elle était et dont elle faisait partie. Peu importé que cette autre ne subsiste plus, ou qu’elle subsiste encore. Ainsi la ville dont il est question dans ce vers n’était plus et des Troyens pouvaient lui survivre encore ; et nous disons qu’il y a en Afrique des commerçants venus de Rome. — Aug. Je veux bien acquiescer à ce que tu dis et ne point énumérer une multitude d’exceptions que peut-être on pourrait trouver à ta règle ; mais il te sera facile d’observer que tu as expliqué des mots par des mots, des signes par des signes, et des signes fort connus par dès signes également connus. Je te prierais néanmoins, s’il était possible, de me montrer les choses mêmes dont ces mots sont les signes.

Chapitre III. Est-il possible de rien montrer sans employer de signe ?

5. Ad. Je m’étonne que tu ignores, ou plutôt que tu fasses semblant d’ignorer qu’il est absolument impossible de faire dans une réponse ce que tu désires. En effet, nous conversons, et dans une conversation on ne peut répondre qu’avec des paroles. Or tu me demandes des choses, et des choses, quelles, qu’elles soient, ne sont point certainement des paroles ; de plus tu me les demandes toi-même avec des paroles. Interroge d abord sans paroles et je ; te répondrai de même.— Aug. Tu es dans ton droit, je l’avoue. Cependant si je cherchais ce que signifient ces trois syllabes, muraille, ne pourrais-tu pas, sans, employer de paroles, me montrer du doigt et me faire voir la chose dont ce mot est l’expression ? — Ad. Cela se peut, je l’accorde, mais seulement quand il : s’agit des noms qui désignent les corps, et que ces corps sont présents.

Aug. Disons-nous que la couleur soit un corps ? N’est-elle pas plutôt une qualité corporelle ? — Ad. C’est vrai.— Aug. Pourquoi donc peut-on aussi la montrer du doigt ? Joindras-tu aux corps les qualités corporelles et diras-tu, qu’on peut également, sans parler, les désigner lorsqu’elles sont présentes ? — Ad. J’entendais, par corps tout ce qui est corporel, c’est-à-dire tout ce qui est sensible dans les corps. — Aug. Examine toutefois si tu n’as pas encore ici quelques exceptions à faire.

Ad. Ta réflexion vient à propos ; je ne devais pas dire : tout ce qui est corporel, mais tout ce qui est visible. Je l’avoue en effet son, l’odeur, la saveur, la pesanteur, la chaleur et ce qui tombe sous les autres sens, ne peuvent être perçus que par les corps, et c’est ; ce : qui les fait appeler des accidents corporels ; mais on ne peut les montrer du doigt. — Aug. N’as-tu jamais vu des hommes converser par gestes avec des sourds, et les mêmes sourds, également par gestes, questionner ou répondre, enseigner ou montrer soit tout, soit presque tout ce, qu’ils veulent ? N’est-ce pas une preuve que l’on peut, sans parler, montrer non-seulement les objets visibles, mais encore les sons, les saveurs et autres choses semblables ? Ainsi, sur le théâtre, des histrions