chambre[1], c’est-à-dire le sanctuaire de notre âme, c’est uniquement parce que Dieu ne demande pas, pour nous exaucer, que nos paroles l’instruisent ou réveillent ses souvenirs ? Parler c’est faire connaître sa volonté au dehors par des sons articulés. Or, on doit chercher et prier Dieu dans les profondeurs mêmes de l’âme raisonnable, c’est-à-dire de l’homme intérieur : c’est en effet ce que Dieu appelle son temple. N’as-tu point lu dans l’Apôtre « Ignorez-vous que vous êtes le temple de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous[2] » ? Le « Christ habite dans l’homme intérieur.[3] » N’as-tu point remarqué non plus ce passage du Prophète : « Entretenez-vous dans vos cœurs et livrez-vous sur vos couches à la componction : offrez un sacrifice de justice, et confiez-vous au Seigneur[4] ? » Et où penses-tu que j’offre le sacrifice de justice, sinon dans le temple de l’âme et dans le sanctuaire du cœur ? Or le lieu du sacrifice doit être le lieu de la prière. Aussi quand nous prions, il n’est pas besoin de parler, c’est-à-dire de faire un bruit de paroles. Il ne le faudrait que si, dans l’occasion on voulait, comme les prêtres, exprimer les sentiments de l’âme pour les faire connaître aux hommes, non à Dieu, et pour élever ceux-ci jusqu’à lui, en réveillant des affections qu’ils partagent. Penses-tu différemment ? — Ad. Je suis complètement de ton avis.
Aug. Ce n’est donc pas pour toi une difficulté que le Maître souverain ait enseigné des paroles lorsqu’il instruisit ses disciples de la manière de prier[5] ? Cependant il paraît n’avoir voulu que leur apprendre comment il faut s’exprimer dans la prière. — Ad. Ce n’est pas pour moi la plus légère difficulté. Car il leur enseigna alors non les paroles, mais les choses mêmes, et les paroles ne devaient être pour eux qu’un moyen de se rappeler à qui ils devaient s’adresser, et ce qu’ils devaient demander lorsqu’ils prieraient, comme il a été dit, dans le sanctuaire de l’âme. — Aug. C’est la vérité, et je le crois ; tu remarques aussi, sans te laisser ébranler par aucune contestation, le rapprochement suivant : de même que penser aux paroles sans faire entendre aucun son, c’est parler en soi-même ; ainsi parler n’est autre chose que penser, lorsque la mémoire, en recherchant des paroles dont elle garde le souvenir, montre à l’esprit les choses mêmes dont ces paroles sont les signes. — Ad. Je comprends et suis de ton avis.
Chapitre II. La parole est nécessaire pour montrer la signification de la parole.
3. Augustin. Ainsi nous sommes convenus que les paroles sont des signes. — Ad. Parfaitement. — Aug. Mais le signe peut-il être signe sans signifier quelque chose ? — Ad. Nullement. — Aug. Dans ce vers : Si nihil ex tenta superis placet urbe relinqui[6], combien y a-t-il de paroles ? — Ad. Huit. — Aug. Il y a donc huit signes ? — Ad. Certainement. — Aug. Tu comprends sans doute ce vers ? — Ad. Je crois l’entendre suffisamment. — Aug. Dis-moi ce que signifient chacune de ces paroles. — Ad. Je vois bien ce que signifie si ; mais je ne trouve aucun autre mot pour l’exprimer. — Aug. Tu sais au moins où réside la chose qu’il signifie ? — Ad. Je crois que si est une expression de doute ; mais le doute est-il ailleurs que dans l’âme ? — Aug. J’accepte pour le moment poursuis.
Ad. Nihil (rien) rappelle-t-il autre chose que ce qui n’est pas ? — Aug. Peut-être dis-tu vrai. Mais tu viens d’accorder qu’il n’y a point de signe qui ne signifie quelque chose. Or ce qui n’est pas ne saurait être quelque chose. Voilà ce qui m’empêche d’acquiescer complètement. Le second mot du vers n’est donc pas un signe, puisqu’il ne signifie pas quelque chose, et nous sommes convenus à tort que toutes les paroles sont des signes ou que tout signe indique quelque chose. — Ad. Tu me serres de trop près. Ne serait-ce pas, toutefois, manquer entièrement de sens, que de recourir aux paroles quand on n’a rien à exprimer ? Toi-même, en conversant actuellement avec moi, tu ne fais sans doute entendre aucun son inutilement, et tous les mots qui s’échappent de tes lèvres sont autant de signes par lesquels tu veux me faire comprendre quelque chose. Si donc le mot rien ne doit rien exprimer, garde-toi de le prononcer dans le discours. Mais si tu le crois nécessaire pour énoncer une pensée, pour nous instruire ou nous avertir quand il frappe nos oreilles, tu vois à coup sûr ce que je veux dire sans pouvoir m’expliquer. — Aug.