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Quelle mesure peut avoir en moi cet amour de l’éternelle beauté ? Non-seulement je ne l’envie pas aux autres, mais je désire qu’un grand nombre le recherchent avec moi, y aspirent avec moi, le possèdent avec moi, en jouissent avec moi : amis d’autant plus intimes que cette sagesse se donnera davantage à chacun de nous.

23. L. R. Tels doivent être les amants de la sagesse ; tels sont ceux que recherche cette amie vraiment pure dont l’union est sans tache. Mais il n’est pas qu’une seule voie pour conduire à elle 1. Chacun, suivant sa pureté et sa force, embrasse plus ou moins complètement ce bien souverain et parfait. Elle est comme une lumière ineffable et incompréhensible qui éclaire notre intelligence ; apprenons de la lumière sensible comment cette union s’opère. Il y a des yeux si sains et si forts que, tout en s’ouvrant, ils se tournent sans aucune hésitation vers le soleil ; la lumière fait, pour ainsi dire, leur santé ; ils n’ont pas besoin de maître, un simple avertissement peut leur suffire. À ceux-là il suffit de croire, d’espérer et d’aimer. Mais d’autres sont éblouis de l’éclat de cette beauté qu’ils désirent si vivement de voir, et n’ayant pu le soutenir, ils retombent souvent avec plaisir dans les ténèbres. Quoiqu’on puisse regarder comme sains les yeux de ces derniers, il est dangereux de vouloir leur montrer ce dont ils ne peuvent soutenir encore la vue ; il faut donc les exercer auparavant et nourrir sans le satisfaire leur amour pour la lumière. Il faut d’abord leur montrer les choses qui ne brillent point par elles-mêmes et qui ne peuvent être vues que par une lumière étrangère, tels que des vêtements, un mur, ou d’autres objets semblables ; ensuite ce qui réfléchit avec plus de vivacité cette lumière étrangère, comme l’or, l’argent ou d’autres objets pareils dont l’éclat cependant ne peut blesser les yeux ; alors peut-être on leur fera doucement apercevoir.les feux terrestres et les astres, la lune, l’éclat de l’aurore et la clarté du jour naissant. Par ce moyen, chacun, suivant sa santé, pourra, plus tôt ou plus tard, en suivant tous ces degrés, ou en en négligeant quelques-uns, parvenir à voir le soleil sans hésitation et avec un grand plaisir. C’est un semblable procédé que suivent les maîtres habiles à l’égard de ceux qui chérissent la sagesse et dont les yeux, déjà ouverts, n’ont pas encore assez de force pour la contempler. L’emploi d’une bonne méthode, c’est de nous y faire parvenir avec ordre ; y arriver sans ordre serait le fruit d’un bonheur à peine croyable. Mais nous avons assez écrit aujourd’hui, je pense. Il faut ménager la santé.


CHAPITRE XIV.

C’EST LA SAGESSE ELLE-MÊME QUI GUÉRIT LES YEUX POUR LES RENDRE CAPABLES DE VOIR.

24. A. Et un autre jour : Je t’en prie, fais-moi connaître cet ordre si tu le peux, mène, conduis-moi où tu veux, par le chemin que tu voudras, de la manière que tu voudras ; commande-moi les choses les plus dures, les plus ardues, pourvu qu’elles soient en ma puissance et que je ne puisse douter qu’elles ne me conduisent où je désire d’arriver. — L. R. Je n’ai qu’une seule chose à te commander, je n’en connais point d’autre : c’est de fuir entièrement toutes les choses sensibles et d’avoir grand soin, tant que nous sommes dans ce corps mortel, que les ailes de ton esprit ne soient point arrêtées par la glu de ce monde, car nous avons besoin de toute leur force et de toute leur activité pour nous envoler des ténèbres jusques à la pure lumière ; cette lumière ne daigne se montrer à ceux qui sont encore enfermés dans la prison du corps, qu’autant qu’ils sont capables de voler dans les airs, quand cette prison se brise ou se dissout. Ainsi, lorsque tu seras dans une telle disposition, que rien de terrestre ne te plaise, crois-moi, au même moment, au même instant, tu verras ce que tu désires. — A. Quand cela arrivera-t-il ? Je te le demande, car je ne pense pas pouvoir mépriser souverainement toutes les choses terrestres, avant d’avoir vu cette beauté éternelle devant laquelle tout s’avilit. L. R. L’œil du corps pourrait dire également : Je n’aimerai plus les ténèbres lorsque