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me croire blessé de la différence de vos opinions. Mais si vous reprenez mes paroles, si vous me demandez raison de mes écrits, si vous exigez que je me corrige, si vous me provoquez à une palinodie et que vous prétendiez me rendre la vue ; c’est alors que l’amitié est offensée et tous ses droits violés. Je vous écris ainsi pour que nous n’ayons pas l’air de nous battre comme des enfants, pour ne pas donner matière à dispute à nos amis ou à nos détracteurs, et parce que je désire vous aimer sincèrement et chrétiennement, et ne rien garder dans mon cœur qui ne soit sur mes lèvres. Il ne me convient pas, à moi qui ai vécu laborieusement avec de saints frères en un coin de monastère, depuis ma jeunesse jusqu’à ce jour, d’écrire quoi que ce soit contre un évêque de ma communion, ni d’attaquer ce même évêque que j’ai commencé à aimer avant de commencer à le connaître, qui le premier m’avait convié à l’amitié, et que je me suis réjoui de voir se lever après moi dans la science des Écritures. Désavouez donc ce livre si par hasard il n’est pas de vous, et cessez de demander que je réponde à ce que vous niez avoir écrit ; ou bien si le livre est de vous, avouez-le tout simplement, afin que, si j’écris pour ma défense, la responsabilité en retombe sur vous qui m’aurez provoqué, et non pas sur moi, qui aurai été forcé de répondre.

5. Vous ajoutez que, si quelque chose me choque dans vos ouvrages, vous êtes prêt à recevoir fraternellement mes observations, que non-seulement vous les accueillerez avec joie, comme des témoignages de ma bienveillance envers vous, mais que vous me les demandez comme une grâce. Je vous le répète : vous provoquez un vieillard, vous excitez celui qui ne demande qu’à se taire, vous semblez faire parade de votre savoir. Il n’appartiendrait pas à mon âge de prendre des airs de malveillance à l’égard d’un homme pour qui je dois plutôt me montrer favorable ; et si des gens pervers trouvent de quoi blâmer dans les Évangiles et les prophètes, seriez-vous surpris qu’on trouvât aussi à redire dans vos livres, surtout en ce qui touche l’explication des Écritures où se rencontrent tant d’obscurités ? Je vous parle ainsi, non pas que je juge qu’il y ait dans vos ouvrages quelque chose à reprendre, car je ne les ai jamais lus, et les copies en sont rares ici, excepté vos Soliloques et quelques commentaires sur les psaumes. Si je voulais examiner ces commentaires, je montrerais que vous n’êtes pas d’accord, je ne dis pas avec moi qui ne suis rien, mais avec les anciens interprètes grecs. Adieu, mon très-cher ami, mon fils par l’âge, mon père par la dignité ; ne manquez pas, je vous en prie, pour tout ce que vous m’écrirez, de faire en sorte que je le reçoive le premier.

LETTRE LXXIII.

(Année 397.)

On vient de voir le caractère de saint Jérôme, qui, au milieu même des plus hautes vertus chrétiennes, avait gardé quelque chose de son impétuosité naturelle ; on va voir le caractère de saint Augustin ; il se plaint doucement d’une certaine âpreté de langage, reconnaît son tort involontaire et en demande pardon ; il ne craint ni les coups ni la correction, pourvu que la vérité lui apparaisse, et déplore la distance qui le sépare de saint Jérôme, qu’il voudrait écouter comme un maître dans la science des Écritures. À l’occasion de la célèbre rupture entre le solitaire de Bethléem et son ancien ami Ruffin, l’évêque d’Hippone parle de l’amitié et de lui-même dans des termes élevés et profonds.

AUGUSTIN À SON VÉNÉRABLE SEIGNEUR JÉRÔME, SON DÉSIRABLE ET SAINT FRÈRE ET COLLÈGUE DANS LE SACERDOCE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Vous aurez reçu, je pense, avant cette lettre, celle que je vous ai envoyée par le serviteur de Dieu, notre fils, le diacre Cyprien ; vous y aurez appris avec certitude que la lettre dont une copie vous est parvenue est bien de moi (et déjà je crois vous voir, dans votre réponse, m’accabler de coups comme Entelle frappait de ses gantelets garnis de plomb l’audacieux Darès) ; cependant je réponds à ce que vous avez daigné m’écrire par notre saint fils Astérius[1] ; j’y ai trouvé plusieurs marques de votre bienveillante charité, et en même temps les indices de quelque offense reçue de moi ; car si j’y lisais de douces paroles, bientôt aussi je m’y sentais blessé. Ce qui me surprenait par-dessus tout, c’est qu’après avoir avancé que vous ne voulez pas croire témérairement que je sois l’auteur de la lettre, de peur que, blessé de votre réponse, je n’aie le droit de vous dire qu’il fallait d’abord vous assurer si elle était de moi, vous me commandez ensuite de vous déclarer nettement si je l’ai écrite, ou de vous en envoyer une copie plus fidèle, afin que nous puissions disputer sur les Écritures sans aucune aigreur. Comment pourrions-nous le faire sans aigreur si vous vous préparez à me blesser ? et si vous n’y pensez pas, comment serait-il possible que, blessé par vous sans que vous l’ayez voulu, j’aie le droit de me plaindre que vous n’ayez pas prouvé que la lettre était de moi, avant de me répondre ainsi, c’est-à-dire avant de m’offenser ? Car si vous ne m’aviez pas blessé en me répondant, je ne pourrais pas me plaindre avec justice ; et puisque vous

  1. Ci-dessus, lett. LXVIII.