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ayez gardé la copie ; sinon, écrivez-moi encore une fois, pourvu cependant que vous puissiez sans trop de dérangement faire la réponse que j’attends depuis si longtemps. Je vous avais écrit une première lettre quand je n’étais encore que prêtre ; elle devait vous être portée par notre frère Profuturus, mais il ne le put parce que, près de partir, il fut fait évêque et bientôt après il mourut : je vous envoie aussi cette première lettre pour que vous sachiez depuis combien de temps je soupire ardemment après vos entretiens, et combien je souffre de ce grand éloignement qui ne permet pas à mon esprit de converser avec le vôtre, ô mon très-doux frère et si digne d’être honoré parmi les membres du Seigneur !
3. J’ajouterai ici que, depuis ce temps, nous avons appris que vous aviez traduit Job sur l’hébreu ; nous possédions déjà de vous une traduction du même prophète, du grec en latin, où vous avez marqué par des astérisques ce qui est dans l’hébreu et ce qui manque au grec, et par des obélisques[1] ce qui se trouve dans le grec et ne se trouve pas dans l’hébreu : vous l’avez fait avec un soin si admirable qu’en certains endroits nous voyons à tous les mots des étoiles qui nous avertissent que ces mots sont dans l’hébreu et pas dans le grec. Or, votre dernière traduction faite sur l’hébreu ne présente pas la même fidélité dans les mots ; on se demande avec inquiétude pourquoi, dans cette première traduction, les astérisques sont posés avec tant de soin qu’ils marquent les plus petites particules du discours qui manquent aux manuscrits grecs et se trouvent dans les manuscrits hébreux, et pourquoi, dans cette autre version sur l’hébreu, cela a été fait trop peu soigneusement pour qu’on puisse trouver les mêmes particules à leurs places. J’avais songé à vous en citer des exemples, mais je n’ai pas eu sous la main la version sur l’hébreu. Toutefois votre génie vole au-devant non-seulement de ce que je dis, mais encore de ce que je veux dire, et vous me comprenez assez, je pense, pour que vous dissipiez mes doutes.
4. Pour moi, j’aimerais mieux que vous traduisissiez les écritures grecques canoniques connues sous le nom des Septante. Car si votre traduction sur l’hébreu commence à être lue habituellement en plusieurs églises, il sera fâcheux que des différences se rencontrent entre les Églises latines et les Églises grecques, surtout parce qu’on répond plus aisément aux contradicteurs avec la langue grecque, qui est très-connue. Au contraire, si quelqu’un est troublé par quelque chose de nouveau dans la version sur l’hébreu, et prétend qu’il y a eu crime de falsification, il sera très-difficile où même impossible de recourir aux témoignages hébreux pour repousser son sentiment. Et si l’on y parvient, qui souffrira que l’on condamne tant d’autorités latines et grecques ? Ce qui augmentera l’embarras c’est que les Hébreux consultés pourront exprimer un avis différent ; vous seul alors paraîtrez nécessaire et capable de les convaincre ; mais en présence de quel juge ? je doute que vous puissiez en trouver un seul.
5. Voici un fait qui semble le prouver. Un de nos collègues avait établi la lecture de votre version dans l’Église dont il est le chef ; on lisait le prophète Jonas et tout à coup on reconnut dans votre traduction[2] quelque chose de très-différent du texte accoutumé qui était dans le cœur et la mémoire de tous, et qui se chantait depuis tant de générations. Le tumulte fut si grand dans le peuple, surtout parmi les Grecs, qui criaient à la falsification, que l’évêque (c’était dans la ville d’Oëa), se trouva forcé d’interroger le témoignage des juifs du lieu. Ceux-ci, soit malice, soit ignorance, répondirent que le texte des Grecs et des Latins, en cet endroit, était conforme au texte hébreu. Quoi de plus ? L’évêque se vit contraint de corriger le passage comme si c’eût été une faute, ne voulant pas, après ce grand péril, rester sans peuple. Il nous a paru, d’après cela, que peut-être vous avez pu vous tromper quelquefois. Et voyez quelles suites fâcheuses, quand il s’agit de textes qu’on ne peut corriger par les témoignages comparés des langues en usage !
6. Aussi pour ce qui est de votre version de l’Évangile sur le grec, nous en rendons à Dieu de grandes actions de grâce, car, en la confrontant avec le grec, nous n’y trouvons presque rien à dire[3]. Si quelqu’un, favorable aux anciennes inexactitudes latines, nous cherche querelle, il est aisément convaincu ou réfuté par la lecture et la comparaison des textes ; et si de rares endroits laissent quelques regrets, qui donc serait assez difficile pour ne pas le pardonner à un si utile travail, au-dessus de

  1. Des obèles, du mot grec οβελος qui signifie broche.
  2. Jon. IV, 6.
  3. Ce passage suffirait pour répondre à ceux qui ont soutenu que saint Augustin ne savait pas le grec.