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très-disposé, si quelque chose vous a ému dans mes livres, à recevoir vos fraternelles observations et à me réjouir de ma propre correction ou des marques de votre bienveillance, mais encore je vous demande cela et vous le redemande avec instance.
3. Oh ! que ne m’est-il permis, sinon d’habiter avec vous, au moins de vivre dans votre voisinage, pour jouir dans le Seigneur de vos fréquents et doux entretiens ! Mais puisque cette joie ne m’est pas donnée, je demande que vous cherchiez à conserver, à accroître, à perfectionner notre seul moyen d’être ensemble dans le Seigneur, et que vous ne dédaigniez pas mes lettres, quoique rares. Saluez avec respect de ma part le saint frère Paulinien[1], et tous les frères qui se réjouissent avec vous et de vous dans le Seigneur. Souvenez-vous de nous, et soyez exaucé dans tous vos saints désirs, cher et très-désiré seigneur et honorable frère dans le Christ.

LETTRE LXVIII.

(Année 402.)

Saint Jérôme répond à la précédente lettre de saint Augustin et parle de celle où l’évêque d’Hippone l’invitait à chanter la palinodie sur un passage de l’Épître aux Galates ; malgré de pieux efforts pour se retenir, on reconnaît aisément un homme blessé dans le langage du solitaire de Bethléem.

JÉRÔME AU SEIGNEUR VRAIMENT SAINT, AU BIENHEUREUX PAPE AUGUSTIN, SALUT DANS LE CHRIST.


1. Au moment même du départ de notre saint fils, le sous-diacre Astérius mon ami, j’ai reçu la lettre de votre béatitude, par laquelle vous m’assurez que vous n’avez pas envoyé de livre à Rome contre moi. Je n’avais pas entendu dire que vous l’eussiez fait ; mais il était arrivé ici, par notre frère, le sous-diacre Sysinnius, copie d’une certaine lettre qui semblait m’être adressée. Vous m’y exhortez à chanter la palimodie sur un passage de l’Apôtre et à imiter Stésichore, dénigrant et louant tour à tour Hélène, et qui recouvra par des hommages la vue qu’il avait perdue par des vers injurieux[2]. Quoique j’aie cru reconnaître dans la lettre votre style et votre raisonnement, je vous avoue cependant, en toute simplicité, que j’ai été d’avis de ne pas vous l’attribuer témérairement, de peur que si je venais à vous blesser en vous répondant, vous n’eussiez le droit de dire que j’aurais dû auparavant prouver que cette lettre était de vous. D’ailleurs la longue maladie de la sainte et vénérable Paula a encore retardé ma réponse. Durant nos longs jours d’assiduité auprès de la malade, j’ai presque oublié votre lettre ou la lettre de celui qui avait écrit sous votre nom ; je me rappelais ce verset de l’Ecclésiastique : « Un discours importun, c’est de la musique dans le deuil[3]. » Si donc la lettre est de vous, écrivez-le-moi franchement, ou bien envoyez-moi une copie plus exacte, afin que nous disputions sans aigreur sur les Écritures, et que je me corrige ou que je montre qu’on m’a repris à tort.
2. À Dieu ne plaise que j’ose toucher à quelque chose dans les livres de votre béatitude ! j’ai bien assez de revoir les miens, sans aller censurer ceux d’autrui. Au reste, votre sagesse sait très-bien que chacun abonde dans son sens, et qu’il n’appartient qu’à de vaniteux adolescents de chercher de la renommée pour leur nom en attaquant des hommes illustres. Je ne suis pas assez insensé pour me croire offensé de la différence de nos interprétations, car vous ne serez pas blessé vous-même de mes sentiments qui seraient contraires aux vôtres. Mais la vraie manière de nous reprendre entre amis, c’est de ne voir pas notre besace, comme dit Perse, pour considérer la besace où sont les défauts d’autrui[4]. Aimez celui qui vous aime, et, jeune, ne provoquez pas un vieillard dans le champ des Écritures. J’ai eu aussi mon temps, et j’ai couru autant que j’ai pu. Maintenant, pendant que vous courez et que vous franchissez de longs espaces, un peu de repos m’est dû ; et si vous me permettez de le dire sans manquer au respect qui vous est dû, pour que vous ne soyez pas seul à me citer quelque chose des poètes, souvenez-vous de Darès et d’Entelle, et du proverbe qui dit que le bœuf fatigué n’en est que plus ferme sur ses pieds. J’ai dicté ceci avec tristesse. Plût à Dieu que je méritasse vos embrassements et que nous pussions, en de mutuels entretiens, apprendre quelque chose l’un de l’autre !
Calphurnius, surnommé Lanarius[5], m’a envoyé ses outrages avec son audace accoutumée ; j’ai su que, par ses soins, cet écrit injurieux était parvenu en Afrique. J’ai brièvement répondu à une partie du libelle, et je vous ai envoyé une copie de cette réponse, me réservant de vous adresser un travail plus étendu quand j’aurai le loisir de m’y mettre. J’ai pris garde de blesser en quoi que ce soit sa réputation de chrétien, et me suis uniquement attaché à réfuter ses mensonges et les sottises de cet homme extravagant et ignorant. Souvenez-vous de moi, saint et vénérable pape. Voyez combien je vous aime, puisque, provoqué par vous, je ne veux pas vous répondre, ni vous attribuer ce que j’aurais peut-être blâmé dans un autre. Notre frère commun vous salue humblement.

  1. C’était le frère de saint Jérôme.
  2. C’est Platon qui a ainsi expliqué la cécité et la guérison du poète Stésichore.
  3. Ecclési. XXII, 6.
  4. Ce sont les deux besaces dont parle Esope et qui ont fait dire à Perse :
    Ut nemo in sese tentat descendere, nemo ;
    Sed praecedenti spectatur mantica tergo.
  5. C’est son adversaire Ruffin que saint Jérôme désigne sous ce nom.