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donc l’âme se délecte d’elle-même, elle ne se délecte point encore de ce qui est immuable ; aussi est-elle orgueilleuse, car elle se prend pour le souverain bien tandis que Dieu est au-dessus d’elle. Elle ne reste pas impunie dans un tel péché, car « Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles[1]. » Au contraire quand elle jouit de Dieu, elle y trouve le repos véritable, certain, éternel, qu’elle cherchait et ne trouvait pas ailleurs. De là cet avertissement du Psalmiste : « Mettez vos délices dans le Seigneur, et il vous accordera ce que votre cœur demande[2]. »

19. Aussi, « comme l’amour de Dieu est répandu dans nos cœurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné[3] » pour nous sanctifier, il n’est parlé de sanctification que le septième jour, le jour où il est fait mention du repos. Et comme nous ne pouvons faire le bien que par la grâce de Dieu, car « c’est Dieu, dit l’Apôtre, qui opère en vous le vouloir et le faire, selon qu’il lui plaît[4], » nous ne pouvons nous reposer après toutes les bonnes œuvres que nous accomplissons en cette vie, si par sa grâce nous ne sommes sanctifiés et perfectionnés pour l’éternité. S’il est dit de Dieu lui-même qu’après avoir fait tous ses excellents ouvrages il se reposa le septième jour de tout ce qu’il avait fait[5] : c’était pour figurer le repos qu’il nous donnera, à nous autres hommes, après nos bonnes œuvres. Quand nous faisons le bien, nous disons qu’il le fait en nous, parce que nous le faisons par lui : de même, quand nous nous reposons, il est dit que lui-même se repose, parce que notre repos est un don qu’il nous fait.

20. De là vient aussi que parmi les trois premiers préceptes du Décalogue qui regardent Dieu (car les sept autres regardent le prochain, c’est-à-dire l’homme, et ces deux sortes de devoirs forment toute la loi), la prescription du sabbat est l’objet du troisième. Ainsi nous devons entendre le Père dans le premier précepte où il est défendu d’adorer une image de Dieu dans les ouvrages de main d’homme ; non que Dieu n’ait pas d’image, mais parce que nulle image de lui ne doit être adorée, si ce n’est celle qui est la même chose que lui-même et qui ne doit pas l’être pour lui, mais avec lui. Et parce que la créature est muable, ce qui a fait dire que « toute créature est sujette à la vanité[6], » car la nature du tout se révèle dans la partie ; de peur qu’on ne crût que le Fils de Dieu, le Verbe par lequel tout a été fait, est une créature, le second précepte dit : « Vous ne prendrez pas en vain le nom du Seigneur votre Dieu[7]. » Quant au Saint-Esprit, dans lequel nous est donné ce repos que nous aimons partout, et que nous ne trouvons qu’en aimant Dieu, lorsque sa charité se répand dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné, il est indiqué par le troisième précepte, le précepte qui commande l’observation du sabbat en mémoire de ce que Dieu a sanctifié le septième jour dans lequel il s’est reposé. Ce n’est pas pour nous persuader que nous jouissons du repos dès cette vie, mais pour nous déterminer à ne rechercher dans toutes nos bonnes œuvres que l’éternel repos de la vie future. Il importe en effet de se rappeler ce que j’ai dit plus haut : « Nous ne sommes sauvés qu’en espérance, et l’espérance qui se voit n’est pas l’espérance[8]. »

21. Le but de tous ces enseignements par figures, c’est de nourrir et d’exciter en nous le feu de l’amour, pour qu’entraînés par son poids nous cherchions le repos soit au-dessus, soit au dedans de nous ; car ces vérités ainsi présentées touchent et embrasent bien plus le cœur que si elles s’offraient à nous sans mystérieux vêtement. Il est difficile d’en dire la raison. Mais tout le monde sait que quelque chose d’allégorique nous frappe, nous charme, nous pénètre davantage que si on nous le dit simplement dans le sens propre. Je le crois : c’est que l’âme, tant qu’elle est engagée au milieu des choses terrestres, est lente à s’enflammer ; mais si elle s’applique aux similitudes corporelles pour se porter ensuite aux vérités spirituelles figurées par ces similitudes, ce mouvement même accroît sa vigueur ; elle s’enflamme comme le feu qu’on agite dans la paille, et court au repos avec un amour plus ardent.

22. C’est pour ce motif que parmi les dix préceptes du Décalogue, celui du sabbat est le seul qui se doive prendre d’une manière figurée : et ce précepte figuré, nous n’avions point à l’observer par l’oisiveté du corps ; il nous suffit de le comprendre. En effet, le sabbat représente le repos spirituel dont il a été dit dans le psaume : « Soyez dans le repos et voyez que c’est moi qui suis Dieu[9] ; » ce repos auquel le Seigneur lui-même convie les hommes, en leur disant : « Venez à moi, vous tous qui souffrez

  1. Jacq. IV, 6
  2. Ps. XXXI, 4
  3. Rom. V, 5
  4. Philip. II, 13
  5. Gen. I, 31 ; II, 2
  6. Rom. VIII, 20
  7. Exod. XX, 7 ; Deut. V, 11
  8. Rom. VIII, 24
  9. Ps. XLV, 10