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siècles[1] : » qui ne comprend que cette promesse a été faite à l’Église universelle qui, pendant que les uns meurent et que les autres naissent ici-bas, doit subsister jusqu’à la fin des temps. Le Sauveur disait également à ses apôtres : « Quand vous verrez ces choses, sachez que le Fils de l’homme est tout près de vous et à la porte[2] : » il semble que ces paroles n’aient été dites que pour les apôtres seuls, mais elles s’appliquent évidemment à ceux qui seront vivants sur la terre lorsque tout s’accomplira. À plus forte raison doit-on appliquer à tous ce qui devait être en grande partie l’ouvrage des apôtres, quoique la continuation de la même œuvre fût réservée à ceux qui viendraient après eux.

50. L’Apôtre a dit : « Est-ce qu’ils n’ont pas entendu ? Leur bruit a retenti dans toute la terre, et leurs paroles se sont fait entendre jusqu’aux extrémités de l’univers[3]. » Quoique ces expressions de l’Apôtre soient au passé, il n’a eu en vue qu’une chose future et non point une chose faite et accomplie ; il a fait comme le prophète dont il cite le témoignage et qui n’a pas dit : leur bruit doit retenir, mais « a retenti dans toute la terre, » ce qui n’était pas encore fait. Il en est de même de ce passage prophétique : « Ils ont percé mes mains et mes pieds[4] : » nous savons que ceci ne s’est accompli que longtemps après. Mais, pour que nous ne croyions pas que ces façons de parler soient employées par les prophètes et non point par les apôtres, saint Paul lui-même nous dit : « C’est l’Église du Dieu vivant, la colonne et le fondement de la vérité. Et sans doute c’est quelque chose de grand que ce mystère d’amour qui s’est manifesté dans la chair, qui a été justifié dans l’esprit, qui a apparu aux anges, qui a été prêché aux nations, qui a été cru dans le monde, qui a été élevé dans la gloire[5]. » Il est évident que ce que l’Apôtre met ici à la fin n’est pas accompli : combien l’était-ce moins quand il disait ces choses, car l’Église ne sera élevée dans la gloire que lorsqu’on entendra ces paroles : « Venez, les bénis de mon Père, posséder le royaume[6]. » Saint Paul parle comme étant faite d’une chose qu’il savait bien ne devoir se faire que dans l’avenir.

51. Il est moins étonnant qu’il se soit servi du présent dans le passage que vous avez rappelé : « À cause de l’espérance qui vous est réservée dans le ciel et dont vous avez été instruits par la parole véritable de l’Évangile, qui est prêché parmi vous, comme il l’est dans le monde entier où il croît et fructifie[7]. » Et pourtant l’Évangile n’était pas encore répandu dans tout l’univers. Mais l’Apôtre dit que l’Évangile fructifie et croît dans le monde entier, pour signifier jusqu’où il devait s’étendre en fructifiant et en croissant. Si donc nous ne savons pas quand l’Église, dans ses progrès continuels, remplira le monde d’une mer à l’autre mer, nous ne pouvons pas savoir quand la fin viendra, car ce ne sera pas avant.

52. Voici maintenant mon opinion sur cette question de la fin du monde ; je vous la dirai comme à un saint homme de Dieu et à un véritable frère : que l’on considère l’avènement du Seigneur comme devant arriver plus tôt ou plus tard, il faut éviter l’erreur autant qu’on le peut ; or à mes yeux, ce n’est pas errer que de reconnaître qu’on ne sait pas quelque chose, mais on se trompe en croyant savoir ce qu’on ne sait pas. Éloignons donc ce méchant serviteur qui, disant dans son cœur que son maître tarde à venir, maltraite ses compagnons et s’abandonne à l’intempérance avec des gens perdus comme lui[8] : celui-là, sans aucun doute, n’a que de la haine pour l’arrivée de son maître. Ce méchant serviteur une fois écarté, représentons-nous trois bons serviteurs, soigneusement occupés de la maison de leur maître, désirant son arrivée, l’attendant avec vigilance, l’aimant avec fidélité. Si l’un d’eux croit que son maître viendra bientôt, l’autre plus tard, et que le troisième avoue qu’il ne sait rien sur l’heure de sa venue, lequel des trois se conforme-t-il le mieux à l’Évangile, car tous y sont fidèles en aimant l’avènement du Seigneur, en le désirant, en l’attendant avec vigilance ?

53. L’un dit : Veillons et prions, parce que le Seigneur doit bientôt venir ; l’autre dit Veillons et prions, quoique le Seigneur ne doive pas encore venir, car cette vie est courte et incertaine ; le troisième dit : Veillons et prions, parce que cette vie est courte et incertaine et que nous ne savons pas quand viendra le Seigneur. L’Évangile dit : « Voyez, veillez et priez, vous ne savez pas quand le temps

  1. Matth. XXVIII, 20.
  2. Ibid. XXIV, 33
  3. Rom. X, 18 ; Ps. XVIII, 5.
  4. Ps. XXI, 17.
  5. I Tim. III, 15-16.
  6. Matth. XXV, 34.
  7. Coloss. I, 5-6.
  8. Matth. XXIV, 38, 49 ; Luc, XII, 45.