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pas de me traiter de la même manière que je vous traite. Que vous dirai-je de la promesse que vous m’aviez faite ou que j’avais instamment sollicitée de vous à Carthage ? De quelque façon que les choses se soient passées, n’en parlons plus, de peur que ce qui nous reste à accomplir n’en soit entravé. Aujourd’hui, Dieu aidant, il n’y, a plus d’excuse, si je ne me trompe ; nous sommes tous les deux en Numidie, et les lieux que nous habitons nous rapprochent l’un de l’autre[1]. J’ai entendu dire que vous vouliez disputer encore avec moi sur la question qui nous divise. Voyez combien en peu de mots toutes les ambiguïtés disparaissent ; répondez à cette lettre si vous voulez bien, et peut-être cela suffira, non-seulement à nous, mais encore à ceux qui désirent nous entendre ; et si cela ne suffit pas, écrivons jusqu’à ce qu’ils soient satisfaits. Quel plus grand avantage pourrions-nous retirer du voisinage des villes où nous sommes ? Quant à moi, je suis décidé à ne plus m’occuper de ces questions avec vous, si ce n’est par lettres, pour que rien de ce qui aura été dit ne puisse être oublié, et pour que ceux qui s’appliquent à ces choses, et qui ne pourraient pas assister à nos conférences, ne soient pas trompés. Vous avez coutume de débiter des faussetés sur ce qui s’est passé, et de le raconter comme il vous plaît ; c’est peut-être plus par erreur que par intention de mentir. C’est pourquoi, si cela vous plaît, n’en jugeons que par les choses présentes.

Vous n’ignorez pas sans doute qu’aux temps de l’ancienne loi le peuple commit le crime de l’idolâtrie, et qu’un livre de prophéties fut brûlé par un roi impie[2] ; ces deux crimes furent moins sévèrement punis que le schisme, ce qui prouve toute la gravité de ce dernier mal aux yeux de Dieu. Vous vous rappelez comment la terre s’ouvrit pour engloutir tout vivants les auteurs du schisme, et comment le feu du ciel dévora ceux qui y avaient adhéré[3]. L’idole fabriquée et adorée, le livre saint brûlé n’attirèrent pas sur les coupables d’aussi terribles châtiments.

2. Pourquoi donc, vous qui avez coutume de nous reprocher. ce crime qui n’est pas prouvé contre nous et qui l’est beaucoup contre vous, ce crime d’avoir livré les Écritures du


Seigneur pour être brûlées devant les menaces, de la persécution, pourquoi, dis-je, avez-vous maintenu dans l’épiscopat des pontifes que vous aviez condamnés pour crime de schisme « par et la bouche véridique d’un concile universel[4], » des pontifes comme Félicien de Musti[5] et Prétextat d’Assuri ? Ils n’étaient pas, comme vous le dites aux ignorants, du nombre de ceux qui échappaient à la sentence, si, avant l’expiration d’un délai fixé par votre concile, ils rentraient dans votre communion ; mais ils furent de ceux que vous condamnâtes sans délai le jour même où un délai fut par vous accordé aux autres. Si vous le niez, je le prouverai ; votre concile parle ; nous avons dans nos mains les actes proconsulaires, avec le témoignage desquels vous l’avez déclaré plus d’une fois. Préparez, si vous le pouvez, une autre manière de vous défendre ; nier ce que j’établirais si aisément ne serait qu’une perte de temps. Si donc Félicien et Prétextat étaient innocents ; pourquoi ont-ils été condamnés ? S’ils étaient coupables, pourquoi ont-ils été réintégrés ? Si vous prouvez leur innocence, pourquoi ne croirions-nous pas que ceux qui furent condamnés par vos prédécesseurs, réunis en bien plus petit nombre, étaient innocents, lorsque trois cent dix de leurs successeurs, à qui on a donné : le titre superbe d’organe véridique d’un « concile universel, » ont pu faussement condamner pour crime de schisme ? Et si vous prouvez que Félicien et Prétextat ont été à bon droit condamnés, que vous reste-t-il pour vous défendre de les avoir maintenus sur leurs sièges, sinon de vanter outre mesure l’importance et le bien de la paix, et de montrer qu’il faut supporter ces crimes mêmes pour ne pas rompre le lien de l’unité ? Plût à Dieu que vous pratiquassiez cela, non de bouche, mais de toutes les forces du cœur ! Vous reconnaîtriez sans doute que des calomnies d’aucune sorte ne doivent rompre la paix du Christ par toute la terre, s’il est permis en Afrique, dans l’intérêt du parti de Donat, de recevoir des évêques condamnés pour un schisme sacrilège.

3. Vous avez coutume aussi de nous reprocher de vous persécuter par les puissances temporelles ; je ne dispute pas avec vous là-

  1. Il y a environ quinze lieues d’Hippone à Calame. Nous avons trouvé des vestiges de la voie romaine entre ces deux cités. Voir notre Voyage en Algérie (Études Africaines), chap. 13.
  2. Jérém. XXXVI, 23
  3. Nomb. XVI, 31-35
  4. Il s’agit ici du conciliabule schismatique de Bagaie, auquel les donatistes donnaient le nom de Concile universel.
  5. Musti était situé sur la route de Carthage à Théveste ; ses ruines s’appellent Enchir-mest ; on y voit un arc de triomphe encore debout.