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toute la loi ? Mais rappelons-nous la manière dont le sentiment de l’Apôtre est amené, comment il découle et s’enchaîne : « Mes frères, dit-il, n’ayez pas foi en Jésus-Christ, notre Seigneur de gloire, en faisant acception de personnes. Car s’il entre dans votre assemblée un homme qui ait un anneau d’or et un habit magnifique, et qu’il y entre aussi un pauvre avec un habit misérable, et qu’arrêtant la vue sur celui qui est magnifiquement vêtu, vous lui disiez : assieds-toi ici à ton aise ; et que vous disiez au pauvre : reste-là debout ou assieds-toi à mes pieds : n’est-ce pas là juger en vous-mêmes entre l’un et l’autre, et n’êtes-vous pas des juges pleins de pensées injustes ? Écoutez, mes frères bien-aimés : est-ce que Dieu n’a pas choisi les pauvres en ce monde pour les rendre riches dans la foi et héritiers du royaume qu’il a promis à ceux qui l’aiment ? Et vous, vous déshonorez le pauvre ! » C’est-à-dire qu’on déshonore le pauvre en lui disant : « Reste-là debout, » tandis qu’on dit à celui qui a un anneau d’or : « Toi, assieds-toi ici à ton aise. » L’Apôtre ajoute ensuite, en développant mieux son sentiment : « Ne sont-ce pas les riches qui vous oppriment par leur puissance, et vous traînent devant les tribunaux ? Ne blasphèment-ils pas le saint nom qui est invoqué sur vous ? Si vous accomplissez la loi royale de l’Écriture : Aime ton prochain comme toi-même, vous faites bien : mais si vous faites acception des personnes, vous commettez un péché, et vous êtes condamnés par la loi comme transgresseurs. » Voyez comme l’Apôtre appelle transgresseurs de la loi ceux qui disent au riche : « Assieds-toi ici, » et au pauvre : « Reste-là debout. » Et pour qu’on ne crût pas que ce fût un petit péché que de violer la loi en ce seul point, voyez comme il ajoute : « Quiconque ayant gardé toute la loi la viole en un seul point, est coupable comme s’il l’avait violée tout entière. Car celui qui a dit : Tu ne commettras pas d’adultère, dit aussi : Tu ne tueras pas. Si donc vous ne tuez pas, mais que vous commettiez un adultère, vous devenez transgresseur de la loi. » L’Apôtre avait déjà dit : « Vous êtes condamnés par la loi comme transgresseurs. » Cela étant ainsi, il résulte, à moins qu’on ne montre qu’il faut l’expliquer d’une autre façon, que celui qui aura dit au riche : « Assieds-toi ici, » et au pauvre : « Reste-là debout, » ne rendant point à celui-ci le même honneur qu’à celui-là, sera idolâtre, blasphémateur, adultère et homicide, et, pour ne pas allonger en énumérant tous les préceptes, coupable de tous les crimes : car « ayant violé la loi en un point, il est coupable comme s’il l’avait violée tout entière. »

4. Mais dira-t-on que celui qui a une vertu les a toutes, et que celui à qui il en manque une n’en a aucune ? si cela est vrai, cela confirme la parole de saint Jacques. Pour moi je veux qu’on l’explique et non pas qu’on la confirme ; elle a par elle-même, parmi nous chrétiens, plus d’autorité que toutes les paroles des anciens philosophes. Et quand même ce sentiment serait vrai pour les vertus et les vices, ce ne serait pas une raison pour que tous les péchés fussent égaux. Autant que je puis m’en souvenir, car ces choses se sont effacées de mon esprit, il a plu à tous les philosophes d’établir cette inséparabilité des vertus, parce qu’ils regardaient toutes ces vertus nécessaires pour une bonne et droite vie. Mais les stoïciens seuls ont osé soutenir l’égalité des péchés contre le sentiment de tout le genre humain ; appuyé sur les saintes Écritures, vous leur avez démontré très-clairement leur erreur dans la personne de ce Jovinien[1] qui sur ce point était stoïcien, mais qui était épicurien dans sa manière de rechercher et de défendre les voluptés. Vous avez prouvé avec évidence, dans cette magnifique et mémorable dissertation, que la doctrine de l’égalité des péchés n’est pas d’accord avec nos auteurs canoniques ou plutôt avec la Vérité elle-même qui a parlé par leur bouche. Et quand ce sentiment sur les vertus serait vrai, nous ne serions pas pour cela obligés de reconnaître l’égalité de tous les péchés c’est ce que, Dieu aidant, je m’efforcerai de faire voir, autant que je le pourrai ; si j’y parviens, vous m’approuverez ; là où je resterai insuffisant, vous suppléerez à mon défaut.

5. Ce qui fait dire que celui qui a une vertu les a toutes et qu’elles manquent toutes à qui manque d’une seule, c’est que la prudence ne saurait être ni lâche, ni injuste, ni intempérante ; car si quelque vice de ce genre s’y mêlait, ce ne serait plus la prudence. Or si, pour être la prudence, il faut qu’elle soit forte, juste, tempérante, elle aura avec elle les autres vertus. C’est ainsi que la force ne peut être ni imprudente, ni intempérante, ni injuste ; c’est ainsi

  1. Saint Jérôme, livre II contre Jovinien.