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D’UN PASSAGE DE SAINT JACQUES.

LIVRE ou LETTRE CLXVII A SAINT JÉRÔME.

(Année 415.)

Il s’agit ici du passage de l’épître de saint Jacques, où il est dit : « Quiconque ayant gardé tout la loi la viole en un seul point, est coupable comme s’il l’avait violée tout entière. » Saint Augustin demande à saint Jérôme l’explication de ce passage ; il en donne lui-même un commentaire qu’il soumet au solitaire de Bethléem. Avant de présenter ce lumineux et beau commentaire, il examine la doctrine des philosophes anciens et particulièrement des stoïciens sur les vertus et les vices. On voit ici le moraliste chrétien dans la sûreté et la profondeur de son jugement.

1. Je vous ai écrit, mon vénérable frère Jérôme, au sujet de l’origine de l’âme humaine ; je vous ai demandé, dans le cas où il serait vrai que Dieu crée de nouvelles âmes pour chacun de ceux qui naissent, où donc elles auraient contracté le péché que le sacrement de la grâce du Christ, comme nous n’en doutons pas, efface même dans les enfants nouveaux-nés. Ma lettre étant déjà assez étendue, je n’ai pas voulu la charger d’autres questions. Mais plus une chose est pressante, moins il faut la négliger. Je viens donc vous prier et vous conjurer, au nom de Dieu, de m’expliquer, ce qui, je le pense, sera profitable à plusieurs ; ou si l’explication est déjà faite par nous ou par d’autres, de nous l’adresser. Il s’agit de savoir comment on doit entendre ces paroles de l’épître de saint Jacques : « Quiconque ayant gardé toute la loi la viole en un seul point, est coupable comme s’il l’avait violée tout entière[1]. » C’est une question de si grande importance que je me repens beaucoup de ne vous avoir pas déjà écrit sur ce point.

2. Il ne s’agit pas ici d’une première vie dont on ne se souvient plus, comme dans l’une des opinions sur l’origine de l’âme ; il s’agit de la vie présente et de ce que nous devons faire pour parvenir à la vie éternelle. Une bonne réponse que l’on raconte trouverait parfaitement ici sa place. Un homme était tombé dans un puits ; la profondeur de l’eau le soutenait et le préservait de la mort ; il n’étouffait point assez pour ne pas pouvoir parler ; un passant s’arrête, le regarde et lui dit : Comment donc êtes-vous tombé là-dedans ? – Je vous en conjure, lui répondit le malheureux homme, occupez-vous de me tirer d’ici, et ne me demandez pas comment j’y suis tombé ! La foi catholique nous apprend et nous confessons que l’âme même d’un petit enfant doit être tirée du péché comme d’un puits ; c’est assez pour elle que nous sachions comment on peut la sauver, lors même que nous ignorerions toujours comment elle est tombée dans ce malheur. Si j’ai cru devoir chercher la vérité sur cette question, c’est de peur que l’une des opinions sur l’origine de l’âme ne nous entraînât imprudemment à nier le péché originel et la nécessité d’en délivrer l’âme de l’enfant. C’est pourquoi tenons-nous d’abord fortement à cette vérité que l’âme de l’enfant doit être délivrée de l’état de péché et qu’elle ne peut l’être autrement que par la grâce de Dieu au nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; puis, si nous pouvons connaître la cause et l’origine de ce péché, nous serons mieux en mesure de combattre les vains discours, non pas des raisonneurs, mais des chicaneurs ; et si nous ne pouvons pénétrer ce secret, l’ignorance de l’origine du mal ne devra pas nous faire négliger le remède miséricordieux de la grâce chrétienne. Notre avantage contre ceux qui croient savoir ce qu’ils ne savent pas, c’est que nous n’ignorons pas notre ignorance. Car autre chose est ce qu’il est mal de ne pas connaître ; autre chose est ce qu’on ne peut pas ou ce qu’on n’a pas besoin de savoir ou qui ne sert de rien pour la vie que nous cherchons : mais ce que je demande en ce moment sur l’épître de l’apôtre saint Jacques va droit à la vie présente où nous nous appliquons à plaire à Dieu pour mériter de vivre toujours.

3. Dites-moi donc, je vous en conjure, comment il faut entendre ce passage : « Quiconque ayant gardé toute la loi la viole en un seul point, est coupable comme s’il l’avait violée tout entière. » Est-ce que celui qui aura volé, ou même celui qui aura dit au riche : « Asseyez-vous ; » au pauvre : « Restez debout, » sera coupable d’homicide, d’adultère, de sacrilège ? Et s’il n’en est point ainsi, comment celui qui viole la loi en un seul point devient-il coupable comme s’il l’avait violée tout entière ? Ce que saint Jacques a dit du riche et du pauvre ne doit-il pas être compris dans ces choses dont la violation partielle équivaut à la violation de

  1. Jacq. II, 10.