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nombreux dans l’univers s’ils avaient pu être tous recueillis et consignés par écrit ; mais cependant remarquez ceux qui nous ont été conservés. Le Seigneur tolère Judas, démon, voleur, vendeur de son Maître ; il lui permet de recevoir avec des disciples innocents ce prix de notre salut[1], que les fidèles connaissent. Les apôtres tolèrent de faux apôtres ; Paul, ne cherchant rien pour lui, mais tout pour Jésus-Christ, fréquente avec une tolérance glorieuse ceux qui cherchent toujours leurs intérêts et jamais ceux de Jésus-Christ. Enfin, ainsi que je l’ai rappelé tout à l’heure, la voix divine loue, sous le nom d’ange, le chef d’une Église d’avoir toléré pour le nom du Seigneur les méchants qu’il haïssait et qu’il avait reconnus tels après épreuve faite.

24. Bref, que nos ennemis s’interrogent eux-mêmes : ne tolèrent-ils pas les meurtres et les incendies des circoncellions, la vénération dont on entoure les cadavres de ceux qui ont volontairement cherché la mort dans les précipices ? n’ont-ils pas supporté pendant tant d’années les gémissements de toute l’Afrique sous le poids des incroyables maux causés par le seul Optat[2] ? Je vous épargne le récit des actes tyranniques et des brigandages publics accomplis dans chaque province, chaque cité, chaque bourgade d’Afrique ; vous aimerez mieux vous le conter à vous-mêmes, soit à l’oreille, soit tout haut, comme il vous plaira ; partout où vous tournerez vos regards, vous rencontrerez ce que je dis ou plutôt ce que je tais. Nous n’accusons pas ici ceux que vous aimez dans ce parti ; ils ne nous déplaisent point parce qu’ils supportent les mauvais, mais parce qu’ils sont mauvais sans tolérance aucune, parce qu’ils ont fait le schisme, élevé autel contré autel, et qu’ils se sont séparés de l’héritage du Christ répandu sur toute la terre, selon les anciennes promesses. Nous déplorons la violation de la paix, le déchirement de l’unité, la réitération du baptême, l’anéantissement des sacrements, qui demeurent saints jusque dans des hommes scélérats. Si cela leur paraît de faible importance, ils doivent considérer les exemples qui montrent comment Dieu juge ces choses. Ceux qui se fabriquèrent une idole périrent de la mort ordinaire de l’épée[3] ; mais quand il fallut châtier les auteurs du schisme, la terre s’entr’ouvrit pour engloutir les chefs, et la flamme dévora la multitude qui s’était laissé séduire[4] : à la différence des châtiments on reconnaît l’inégale gravité des fautes.

25. Les Écritures sacrées sont livrées dans la persécution ; les traditeurs avouent leur crime, on en laisse à Dieu la punition. On n’interroge pas les innocents, et des hommes téméraires les condamnent. Celui qui, parmi ces absents condamnés, avait été plus violemment accusé que les autres, est reconnu irréprochable par des jugements certains. On en appelle des évêques à l’empereur ; l’empereur est pris pour juge ; on méprise son jugement. Vous avez lu ce qui se passa alors, vous voyez ce qui se passe maintenant ; si un côté de ces choses vous laisse des doutes, ouvrez les yeux à ce qui suit. N’enfermons pas l’examen de la question dans les vieux écrits, dans les archives publiques, dans les actes de la cité ou de l’Église ; la terre entière nous est un plus grand livre ; j’y lis l’accomplissement de cette promesse consignée dans le livre de Dieu : « Le Seigneur m’a dit : Vous êtes mon fils, je vous ai engendré aujourd’hui ; demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage, et l’étendue de toute la terre pour la posséder[5]. » Celui qui n’est pas en communion avec cet héritage, quels que soient les livres qu’il ait en main, doit se tenir pour déshérité, et quiconque l’attaque montre assez qu’il est séparé de la famille de Dieu. On agite la question des traditeurs des divins livres où cet héritage est promis ; que celui-là donc soit reconnu avoir livré le testament aux flammes, qui plaide contre la volonté du testateur. Que vous a-t-elle fait, ô parti de Donat, que vous a-t-elle fait l’Église des Corinthiens ? ce que je dis de cette Église, je veux qu’on le dise aussi de toutes les autres, quel que soit l’éloignement de leur distance. Que vous ont fait ces Églises qui n’ont pu connaître ni ce que vous avez fait vous-même, ni ceux que vous avez notés d’infamie ? l’univers a-t-il perdu la lumière du Christ parce que Cécilien a offensé Lucille en Afrique ?

26. Qu’ils sentent enfin ce qu’ils ont fait ils ont vu en quelques années leur propre ouvrage justement renversé. Demandez par quelle femme Maximien[6], qu’on dit être parent

  1. L’Eucharistie.
  2. Optat, évêque de Thamugade.
  3. Exod. XXXII, 27-28
  4. Nomb. XVI, 31-35
  5. Ps. II, 7-8
  6. Maximien, diacre donatiste de Carthage.