Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/39

Cette page n’a pas encore été corrigée

au loin, et, pour détourner le soupçon, ils en calomnièrent d’autres. Ils espéraient que l’Afrique entière, sur la foi de plusieurs évêques, reprochant des faussetés à des innocents condamnés à Carthage comme traditeurs, eux-mêmes, les vrais traditeurs, parviendraient à se cacher comme dans un nuage de rumeur menteuse. Vous le voyez, mes très-chers, ce que quelques-uns d’entre vous disaient n’être pas vraisemblable, peut avoir eu lieu ; des évêques, après s’être reconnus traditeurs et avoir obtenu que leur crime soit laissé à la justice de Dieu, se sont faits juges d’évêques absents accusés d’être traditeurs, et les ont condamnés. Plus ils se sentaient coupables, plus vivement ils saisirent l’occasion de faire tomber sur d’autres une accusation fausse, et d’éloigner ainsi de la recherche de leurs propres crimes les langues tournées contre eux. S’il n’était pas possible de condamner dans un autre le mal qu’on aurait soi-même commis, l’apôtre saint Paul ne dirait pas : « C’est pourquoi, ô homme, qui « que tu sois, qui condamnes les autres, tu es inexcusable, parce qu’en les condamnant tu te condamnes toi-même, puisque tu fais les mêmes choses que tu condamnes[1]. » C’est précisément ce que firent vos évêques, et ces paroles de l’Apôtre leur conviennent tout à fait et très-justement.

11. Ce ne fut donc point par amour pour la paix et l’unité que Sécondus remit à Dieu la punition de leurs crimes ; autrement, il aurait pris soin d’écarter le schisme à Carthage, où ne se trouvait personne à qui on dût pardonner un crime avoué, mais où il était bien aisé de conserver la paix en s’abstenant tout simplement de condamner des absents. On n’avait pas à pardonner à des innocents qui n’étaient point convaincus du crime, qui n’avaient rien avoué et qui étaient absents : un tel pardon eût été injurieux. Le pardon ne se reçoit pas sans la certitude de la faute. Combien donc furent violents et aveugles ceux qui crurent pouvoir condamner ce qu’ils n’auraient pas pu pardonner, puisqu’ils ne le connaissaient point ! Mais là on avait remis à Dieu la punition des actes connus pour que d’autres ne fussent point recherchés, et ici l’on condamna les actes inconnus pour couvrir le reste. Quelqu’un dira : Ces actes étaient connus ? Si je l’admettais, il ne s’ensuivrait pas moins qu’il aurait fallu avoir égard a l’absence des accusés. Ils ne se dérobèrent pas aux juges ; ils ne les reconnurent jamais comme tels. Ces seuls évêques africains ne formaient pas toute l’Église, et ce n’était pas se soustraire à tout jugement ecclésiastique que de ne pas vouloir s’offrir à leur jugement. Il restait au-delà des mers des milliers d’évêques pour juger ceux qui semblaient tenir pour suspects des évêques africains ou numides. Que deviendrait donc ce que nous crie l’Écriture : « Ne blâmez personne avant de l’avoir interrogé ; et quand vous l’aurez interrogé, reprenez-le avec justice[2] ? » Si donc l’Esprit-Saint n’a pas voulu qu’on blâmât ni qu’on reprît personne sans l’avoir interrogé, combien il a été criminel, non-seulement de blâmer ou de reprendre, mais de condamner tout à fait ceux que leur absence n’a pas même pu permettre d’interroger !

12. Après avoir condamné des collègues absents qui ne reconnurent jamais leur justice et déclarèrent toujours leur troupe fort suspecte, vos évêques soutiennent qu’ils n’ont condamné que des crimes connus. Mais, dites-le-moi, je vous en prie, comment les ont-ils connus ? Vous répondez : Nous ne le savons pas, puisque les actes publics ne nous en apprennent rien. Je vous montrerai, moi, comment ils les ont connus. Regardez attentivement l’affaire de Félix d’Aptonge ; voyez quelle fureur contre lui ! L’affaire des autres fut comme celle de cet évêque dont on prouva l’innocence après un profond et sévère examen. Avec quelle prompte justice et quelle sûreté de pensée ne devons-nous pas proclamer innocents ceux qui furent l’objet d’accusations légères et de faibles réprimandes, puisqu’on a trouvé irréprochable celui contre lequel tant de violences avaient éclaté !

13. Il est une chose qui fut dite, qui ne reçut pas votre assentiment, mais que je ne saurais passer sous silence, c’est qu’un évêque ne devait pas se faire absoudre par un proconsul comme si l’évêque avait choisi lui-même le tribunal proconsulaire, et qu’il ne se fût pas conformé aux ordres de l’empereur à qui appartenait principalement ce soin dont il devait rendre compte à Dieu ! C’est lui en effet que les sollicitations de vos évêques avaient fait juge de la cause des traditeurs et du schisme ; ils lui avaient même adressé une requête sur ce sujet, et plus tard ils en appelèrent de nouveau à son jugement : et cependant ils n’ont

  1. Rom. II, 1
  2. Ecclésiastiq. XI, 7