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plus belle que l’Hélène des Grecs[1] ; c’est pour elle que nos martyrs ont plus combattu contre Sodome que les héros ne combattirent jadis pour Hélène contre Troie. Je ne dis pas cela pour que vous retrouviez les yeux du cœur ; à Dieu ne plaise que vous les ayez perdus ! mais je le dis afin que vos yeux, sains et ouverts, vous servent à prendre garde, ce que vous n’avez pas fait par je ne sais quelle inadvertance, aux conséquences qui éclateraient, si on croyait une fois que l’écrivain des divins livres a pu honnêtement et pieusement mentir sur un point.

8. Je vous avais écrit, il y a déjà quelque temps, une lettre qui ne vous est parvenue, parce que celui qui devait la porter n’est point parti. Une pensée m’était présente pendant que je dictais cette lettre, et je ne dois pas l’oublier ici, c’est que si vous êtes d’un avis différent du mien et que vous ayez raison, vous pardonnerez volontiers à ma susceptibilité ; en cas que vous jugiez autrement que moi et que vous soyez dans la vérité (car votre sentiment ne sera le meilleur qu’autant qu’il sera vrai), y aura-t-il une grande faute dans une erreur de ma part qui favorisera la vérité, si la vérité peut quelquefois favoriser le mensonge.

9. Quant à ce que vous avez daigné me répondre au sujet d’Origène, je savais déjà qu’il fallait approuver et louer tout ce qu’on trouve d’exact et de vrai, non-seulement dans les ouvrages ecclésiastiques, mais encore dans toutes sortes d’ouvrages, comme il faut désapprouver et blâmer tout ce qu’ils renferment de faux et de mauvais. Mais ce que je demandais et demande encore à votre sagesse et à vos lumières, c’est de nous marquer tous les points où ce grand homme se sépare certainement de la vérité. Le livre où vous avez cité, dans la mesure de vos souvenirs, les auteurs ecclésiastiques et leurs écrits serait, je crois, plus parfait si, ayant voulu faire mention des hérétiques même (et je désirerais bien savoir pourquoi vous en avez passé quelques-uns), vous aviez ajouté en quoi on doit se mettre en garde contre eux. Peut-être auriez-vous craint de grossir ce volume en faisant connaître les points sur lesquels l’autorité catholique a condamné les hérétiques ; je vous demande alors, dans un sentiment de charité envers mes frères, et si vos occupations vous en laissent le temps, de ne pas regarder comme un trop rude travail, après avoir, par la grâce de Notre-Seigneur, tant aidé et encouragé les saintes lettres en langue latine, de réunir dans un livre de peu d’étendue les enseignements pervers de tous les hérétiques qui se sont efforcés jusqu’à ce jour de corrompre la foi chrétienne, soit par orgueil, soit par ignorance ou opiniâtreté : ce serait au profit de ceux qui n’ont pas le loisir de chercher eux-mêmes ou à qui l’ignorance de la langue ne permet pas de lire et d’étudier tant de choses. Je vous prierais longtemps si l’insistance n’était pas la marque ordinaire qu’on présume moins de la charité. Je recommande beaucoup à votre bienveillance Paul, notre frère en Jésus-Christ : je rends bon témoignage de la considération dont il jouit dans nos pays.

LETTRE XLI.

(Année 397.)

Félicitations religieuses adressées à Aurèle, évêque de Carthage. Ces pages donnent du courage et de l’élan à toute âme qui travaille sous les yeux de Dieu.

ALYPE ET AUGUSTIN À LEUR BIEN-AIMÉ FRÈRE ET COLLÈGUE DANS LE SACERDOCE, LE SAINT ET VÉNÉRABLE SEIGNEUR ET PAPE AURÈLE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Notre bouche a été remplie de chants de joie et notre langue de cris d’allégresse[2], quand nous avons appris par votre lettre l’accomplissement de vos saintes pensées, Dieu aidant, sur tous nos frères ordonnés, et principalement sur les sermons que les prêtres adressent au peuple en votre présence : votre charité, par leur langue, crie d’une plus grande voix dans les cœurs des hommes que la parole de ces prêtres ne retentit à leurs oreilles. Dieu soit loué ! Nous ne pouvons rien penser, rien dire ni écrire de meilleur que ces mots,- Dieu soit loué ! Rien de plus court sur les lèvres, de plus joyeux à entendre, de plus grand à comprendre, de plus utile à faire. Dieu soit loué, qui vous a enrichi d’un cœur si dévoué à vos enfants qui a mis en lumière ce que vous aviez au fond de l’âme, où l’œil humain ne pénètre pas, et qui vous a fait la grâce non-seulement de voir le bien, mais encore de pouvoir le montrer ! Qu’il éclate donc avec

  1. On sait l’histoire mythologique du poète Stésichore, qui perdit la vue pour avoir maltraité Hélène et la recouvra après un poème réparateur.
  2. Ps. CXXV, 2