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non pas à une source de la terre, mais aux flots divins de cette parole dont on ne reçoit jamais assez, méprisèrent, non-seulement leur dîner, mais leur souper même.

29. Quoique, dès ce temps, on n’eût point coutume de jeûner le dimanche, un grand scandale n’aurait pas été donné à l’Église si, dans la conjoncture où se trouva l’apôtre Paul, les disciples n’avaient pris aucune nourriture durant toute la journée du dimanche jusqu’à minuit ou même jusqu’au point du jour. Mais maintenant qu’aux yeux des peuples chrétiens les hérétiques, et surtout les manichéens, les plus impies de tous, ont prescrit le jeûne du dimanche sans aucune nécessité et comme une institution solennelle et sacrée, je ne pense pas que, dans un cas pareil, on dût faire ce que fit l’Apôtre, de peur que le scandale ne produisît plus de mal que la parole ne produirait de bien. Quelle que soit la cause ou la nécessité qui force un chrétien de jeûner le dimanche comme nous le voyons dans les Actes des Apôtres quand, sur le navire en péril de naufrage, où saint Paul était embarqué, on jeûna quatorze jours[1] et par conséquent deux dimanches, nous devons tenir pour certain qu’on ne doit pas jeûner le dimanche, à moins d’avoir fait vœu de passer plusieurs jours sans manger.

30. La raison qu’on paraît donner du jeûne de l’Église le quatrième et le sixième jour[2], c’est que, d’après l’Évangile, ce fut le quatrième jour de la semaine, qu’on appelle vulgairement la quatrième férie, que les juifs tinrent conseil pour tuer le Seigneur ; le soir du lendemain, le Seigneur mangea la Pâque avec ses disciples, et ce jour est celui que nous appelons le cinquième de la semaine ; le Seigneur fut ensuite livré dans la nuit qui appartenait déjà au sixième jour de la semaine, qui est le jour manifeste de sa passion ; ce jour fut le premier des azymes en commençant le soir ; mais l’évangéliste saint Matthieu dit que le premier jour des azymes fut le cinquième de la semaine, parce que c’était le soir de ce jour que devait avoir lieu la Cène pascale, où l’on commençait à manger le pain sans levain et l’agneau immolé. D’où il résulte qu’on était dans le quatrième jour de la semaine quand le Seigneur dit : « Vous savez que la Pâque se fera dans deux jours, et le Fils de l’homme sera livré pour être crucifié[3]. » Ce jour est consacré au jeûne, parce que l’évangéliste continue en ces termes-: « Alors les princes des prêtres et les anciens du peuple s’assemblèrent dans la salle du grand prêtre, qui se a nommait Caïphe, et tinrent conseil pour se saisir de Jésus par ruse et le faire mourir[4]. » Après le jour dont il est dit dans l’Évangile : « Le premier jour des azymes, les disciples vinrent trouver Jésus et lui dirent : Où voulez-vous que nous vous préparions ce qu’il faut pour manger la Pâque[5] ? » après ce jour, nul ne le met en doute, le Seigneur fut mis à mort : c’était le vendredi. Voilà pourquoi il est justement consacré au jeûne, car le sens du jeûne est l’humiliation. Il a été dit : « Et j’humiliais mon âme dans le jeûne[6]. »

31. Vient ensuite le samedi, où le corps du Christ reposa dans le tombeau, comme dans la création du monde Dieu se reposa ce jour-là de toutes ses œuvres. De là est née cette variété dans la robe de la reine : les uns, et surtout les peuples d’Orient, aiment mieux ne pas jeûner pour marquer le repos ; les autres, comme à Rome et dans quelques autres Églises d’Occident, préfèrent jeûner en mémoire de l’humiliation de la mort du Seigneur. Mais samedi, veille de Pâques, en mémoire du deuil des disciples qui pleurèrent la mort du Seigneur comme homme, tous les chrétiens jeûnent dévotement, ceux même qui, en souvenir du repos de ce jour, n’ont pas coutume de jeûner les autres samedis de l’année. Ils rappellent également, par ce jeûne anniversaire, le deuil des disciples, et par le dîner des autres samedis, la jouissance du repos ; car il y a deux choses qui nous font espérer la béatitude des justes et la fin de toute misère : la mort et la résurrection. Dans la mort est le repos dont il est dit par le Prophète : « Enfermez-vous, mon peuple, cachez-vous un peu jusqu’à ce que la colère du Seigneur soit passée[7]. » Dans la résurrection est la félicité parfaite de tout l’homme corps et âme. De là est venu qu’on n’a pas cru devoir marquer l’une et l’autre par la fatigue du jeûne, mais qu’on a préféré la joie d’un repas chrétien, excepté le samedi pascal où, ainsi que nous l’avons déjà dit, il fallait un jeûne plus prolongé pour rappeler la mémoire du deuil des disciples.

32. Mais comme nous ne, trouvons pas, ainsi

  1. Act. XXVII, 33.
  2. Le mercredi et le vendredi.
  3. Matt. XXVI, 2
  4. Ibid. 3, 4
  5. Ibid. 17
  6. Psa. XXXIV, 13
  7. Isaïe, XXVI, 20