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cela aisément, si vous le vouliez. En effet, celui qui cherche comment on parvient à la vie heureuse, ne cherche rien autre que de savoir où est la fin du bien, c’est-à-dire où est placé le souverain bien de l’homme, non pas d’après une opinion fausse et téméraire, mais d’après la vérité certaine et inébranlable. Or nul ne peut le placer que dans le corps ou dans l’âme, ou en Dieu, ou en deux de ceux-là, ou assurément en tous. Si vous reconnaissez que le souverain bien, ni même une partie du souverain bien ne peut être dans le corps, il nous restera à le chercher dans l’âme ou en Dieu, ou dans tous les deux. Si vous allez plus loin et que vous arriviez à comprendre que le souverain bien de l’homme n’existe pas plus dans l’âme que dans le corps, que se présente-t-il à nos recherches, si ce n’est Dieu ? Ce n’est pas que les autres biens ne soient des biens, mais nous appelons souverain le bien auquel tous les autres se rapportent. Car chacun est heureux quand il jouit du bien pour lequel il veut avoir tous les autres et qu’il n’aime pas pour un objet différent, mais pour lui-même ; et ce bien suprême s’appelle la fin de l’homme, parce qu’on ne trouve plus rien au delà : c’est là que les désirs cessent, c’est là qu’il y a sécurité dans la jouissance, c’est là que la joie la plus tranquille demeure inséparable de la volonté la meilleure.

14. Donnez-moi quelqu’un qui voie tout de suite que le corps n’est pas le bien de l’âme, mais plutôt que l’âme est le bien du corps ; il ne sera plus question de chercher si c’est dans le corps que réside le souverain bien ou même une part de ce bien ; car il y aurait folie à nier que l’âme fût meilleure que le corps, et que ce qui donne la vie heureuse ou une part de vie heureuse fût meilleur que ce qui la reçoit. L’âme ne reçoit donc du corps ni le souverain bien ni une part quelconque du souverain bien. Ceux qui ne voient pas cela sont aveuglés par la douceur des voluptés charnelles, et ne s’aperçoivent pas que cette douceur vient de la pauvreté même de notre vie, la parfaite santé du corps sera la suprême immortalité de l’homme tout entier ; car Dieu a fait notre âme avec une si puissante nature que la pleine béatitude promise aux saints à la fin des temps rejaillira sur notre portion inférieure qui est le corps ; il n’éprouvera pas les félicités réservées à l’intelligence, mais il aura la plénitude de la santé, c’est-à-dire la vigueur de l’incorruptibilité. Ceux qui ne voient pas cela, je le répète, se combattent chacun à sa façon, plaçant dans le corps le souverain bien de l’homme, et déchaînant les appétits charnels : dans cette catégorie figurent au premier rang les épicuriens qui ont obtenu un grand crédit auprès de la multitude ignorante.

15. Donnez-moi aussi quelqu’un qui voie tout de suite que l’âme elle-même, quand elle est heureuse, ne tire pas son bien de son propre fond, car autrement elle ne serait jamais misérable : il ne sera plus question de chercher si ce souverain bien, ce bien qui béatifie en tout ou en partie, a son principe dans l’âme. Car,.lorsque l’âme se réjouit d’elle-même comme d’un bien qui lui est propre, elle s’enorgueillit ; mais quand elle se reconnaît soumise au changement, ne fût-ce qu’en passant de la folie à la sagesse ; et qu’elle voit l’immutabilité de la sagesse, elle comprend qu’il y a là quelque chose de plus haut qu’elle-même, et qu’en y participant et s’éclairant de cette splendeur supérieure, elle a des joies plus abondantes et plus certaines qu’en retombant sur son propre fond. C’est alors que revenue de tout sentiment d’orgueil et en quelque sorte désenflée, l’âme s’efforce de s’attacher à Dieu, de se rétablir et de se réformer par la communication avec cette essence immuable ; elle comprend que non-seulement les formes de toutes choses, visibles et invisibles, viennent de Dieu, mais encore que toute possibilité de formation en vient aussi, comme ce qui n’a pas de forme peut en recevoir une. L’âme sent donc qu’elle est d’autant moins solide qu’elle s’attache moins à Dieu qui existe souverainement ; que Dieu existe ainsi souverainement parce qu’il ne peut rien gagner ni perdre par aucun changement ; qu’il est bon pour nous de changer si c’est pour devenir meilleurs ; mais que le changement en mal est une corruption ; que toute diminution de bien mène à l’anéantissement ; quoiqu’on ne découvre point si quelque chose y arrive, il est évident pour tous que l’anéantissement conduit à n’être plus ce qu’on était. L’âme en conclut que si les choses décroissent ou peuvent décroître, c’est qu’elles ont été tirées du néant ; que, si elles sont et restent ce qu’elles sont, si leurs défaillances mêmes tiennent à l’ordre de l’univers, c’est par ’un effet de la bonté et de la toute-puissance de Celui qui est à la fois l’Etre souverain et le Créateur, assez puissant pour tirer du néant non-seulement