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6. Si telle n’est pas la fin de ces actions et de ces désirs, et si c’est pour quelque autre chose que vous ne voulez pas qu’on vous croie ignorant et borné, dites-le moi, je vous en prie. Est-ce pour qu’il vous devienne plus aisé d’acquérir des richesses, de vous marier, de monter aux honneurs, d’obtenir toutes les choses qui s’écoulent si vite et entraînent dans le gouffre ceux qui se sont jetés dans leurs flots ? Loin de favoriser ces desseins, mon devoir est de en vous détourner. Quand je vous exhorte à ne pas vous proposer pour fin dernière l’incertitude des opinions humaines, ce n’est pas pour que vous passiez du Mincius à l’Eridan, où peut-être le Mincius même vous jetterait malgré vous. Les louanges humaines n’offrant qu’une nourriture vaine et creuse, l’avidité de l’esprit n’en est pas rassasiée ; elle l’oblige de se retourner vers autre chose qui semble plus abondant et plus fructueux ; mais, si ce dernier objet est encore de ces choses que le temps emporte, on ne fait que passer d’un fleuve à l’autre, et l’on ne cesse pas d’être misérable tant qu’on ne prend pour fin de ses œuvres que l’instabilité. Je veux donc que vous bâtissiez votre demeure sur un bien solide et immuable, et que ce soit là que vous établissiez avec une inébranlable confiance et une sécurité complète, la fin de toute bonne et honnête action. Songeriez-vous, si vous étiez poussé par un vent propice, ou que vous-même ouvriez votre voile au souffle d’une bonne renommée, à acquérir d’abord cette terrestre félicité dont j’ai fait mention, pour la rapporter ensuite au bien certain, véritable et complet ? Mais je le crois, et la vérité même l’enseigne, il n’est pas besoin de si grands détours pour arriver jusqu’à elle, puisqu’elle est si près de nous, ni de tant de frais pour l’obtenir, puisqu’elle se donne si gratuitement.

7. Pensez-vous qu’il faille se servir des louanges humaines comme un moyen de parvenir au cœur des hommes et de leur faire accepter ce qui est vrai et salutaire ? En passant pour ignorant et borné, craindriez-vous d’être jugé indigne qu’on vous écoutât avec assez d’attention ou de patience, soit dans vos exhortations à bien faire, soit dans vos justes et sévères réprimandes ? Si tel a été votre but de justice et de bienfaisance en m’adressant ces questions, vous n’aurez pas été content de moi ; mais il aurait fallu me marquer ce but dans votre lettre ; j’aurais alors fait ce que vous me demandiez ; ou si je ne l’eusse pas fait, c’est que je ne l’aurais pu ; mais au moins je n’aurais pas été retenu par la honte de complaire à de vains désirs, et même de ne pas les combattre. Mais, croyez-moi, il serait bien meilleur et plus utile, plus certain et plus court de commencer par recevoir les règles même de la vérité, ces règles par lesquelles vous pourriez vous-même rejeter tout ce qui est faux ; elles vous empêcheront de vous croire savant et habile (ce qui serait faux et honteux) parce que vous vous serez appliqué avec plus d’orgueil que de sagesse à l’étude de tant de faussetés vieillies et décrépites : et je vois que déjà vous n’en êtes plus là. Car ce n’est pas en vain que depuis le commencement de cette lettre je fais entendre à Dioscore tant de vérités !

8. Ainsi, vous ne vous croyez pas ignorant et borné par cela seul que vous n’avez pas su ces choses anciennes, mais parce que vous n’avez pas su la vérité elle-même ; car en la possédant vous connaissez avec certitude ce qu’il y a de vrai dans ce que ces auteurs ont écrit ou pourront écrire, et vous ignorez sans danger ce qu’il y a de faux ; en outre la crainte de rester ignorant et borné ne vous jette plus dans des tourments inutiles pour vous instruire de la diversité des opinions d’autrui. Cela étant, voyons aussi je vous prie, si l’idée de passer à tort pour ignorant et borné dans l’opinion des hommes enclins au blâme, doit vous occuper assez pour oser convenablement demander à des évêques l’explication de ces sortes d’obscurités : nous croyons maintenant en effet que vous n’êtes inspiré que par le désir de persuader la vérité et de rendre meilleurs ces hommes qui vous jugeraient indigne de leur faire entendre d’utiles et salutaires enseignements, s’ils vous croient ignorant et borné au sujet des livres de Cicéron. Croyez-moi, il n’en est pas ainsi.

9. D’abord je ne vois pas du tout qui pourra vous adresser ces sortes de questions dans les contrées où vous craignez de passer pour peu instruit et peu pénétrant ; vous avez jugé par vous-même qu’on ne s’occupe pas de ces choses ici où vous êtes venu les apprendre, ni à Rome ; elles ne sont ni enseignées ni étudiées parmi nous ; vous ne rencontrez en Afrique personne qui vous interroge à cet égard, et vous ne rencontrez personne que vous puissiez interroger si bien que vous êtes réduit à vous adresser à des évêques. Il est vrai que, dans leur jeunesse,