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de questions ; leur poids serait encore écrasant quand même vous me croiriez sans affaires et libre de tous soins : mais supposez-moi tous les loisirs imaginables, comment pourrais-je résoudre tant de difficultés avec le peu de temps que vous me donnez pour vous répondre, puisque vous m’écrivez que vous êtes au moment de votre départ ? J’en serais empêché par le grand nombre des questions, lors même que leur solution serait facile. Mais les nœuds en sont si compliqués et si serrés, que, même réduites à un petit nombre et tombant sur moi au milieu d’un complet loisir, elles fatigueraient longtemps mon esprit et useraient mes ongles. Quant à moi, je voudrais vous arracher à ces douces recherches qui vous plaisent, et vous faire pénétrer au milieu de tous mes soins ; vous apprendriez à ne pas être curieux de choses vaines, ou bien vous n’oseriez pas imposer le soin de repaître votre curiosité à ceux dont le principal devoir est de réprimer et de contenir les curieux. Car s’il faut que j’emploie un certain temps à vous écrire, combien il serait meilleur et plus profitable de remployer à réfréner ces vains et trompeurs désirs, d’autant plus dangereux qu’ils peuvent plus aisément séduire en se voilant de je ne sais quelle ombre d’honnêteté et d’études libérales ! cela vaudrait mieux que de me faire servir de ministre, et, si je puis parler ainsi, de satellite à vos désirs, pour les exciter plus vivement et établir leur tyrannie sur votre bon naturel.

2. Que vous sert, dites-moi, d’avoir lu tant de dialogues s’ils ne vous ont aidé en rien pour vous faire voir et choisir la fin de toutes vos actions ? Votre lettre nous montre assez quel est le but de toute cette ardente étude, si stérile pour vous, si importune pour nous. En me demandant la solution des questions que vous m’avez envoyées, vous me dites : « Je pourrais vous prier davantage et me faire appuyer auprès de vous par plusieurs de vos amis ; mais je connais votre cœur, vous n’aimez pas qu’on vous prie ; vous donnez à tous, pourvu qu’on ne vous demande rien qui ne convienne ; et ici rien absolument d’inconvenant ; mais quoi qu’il en soit, accordez-moi ce que je désire, car je suis sur le point, de m’embarquer. » Dans ces paroles de votre lettre, vous avez assez bonne opinion de moi pour croire que je désire, donner à tous, pourvu qu’on ne me demande rien qui ne me convienne ; mais il ne me paraît pas que votre demande soit parfaitement convenable. Je ne trouverais pas digne d’un évêque occupé, accablé de soins ecclésiastiques, qui le réclament sans cesse, de fermer tout à coup l’oreille à tant de graves obligations pour expliquer à un écolier de misérables difficultés dans les dialogues de Cicéron. Quoique l’ardeur qui vous emporte vous empêche d’y prendre garde, vous sentez pourtant vous-même ce qu’il y aurait ici de choquant. N’est-ce pas évidemment ce que signifie le passage de votre lettre où après avoir dit qu’il n’y a rien là qui ne convienne, vous vous hâtez d’ajouter : « Quoi qu’il en soit pourtant, accordez moi ce que je désire, car je suis sur le point de m’embarquer ? » Cela veut dire que votre demande ne vous paraît pas blesser les convenances, mais que s’il en était autrement, vous me demanderiez de faire ce que vous désirez parce que vous êtes sur le point de vous embarquer. Mais dites-moi, qu’est-ce que ces mots que vous ajoutez : « Je suis sur le point de m’embarquer ? » Est-ce que si vous n’étiez pas à la veille de vous embarquer, je ne devrais pas faire pour vous quelque chose qui ne convient point ? Vous croyez sans doute que l’eau de la mer lave la honte. Mais la mienne, si cela était, resterait non effacée, car certainement je ne m’embarquerai pas.

3. Vous écrivez aussi que je sais combien il vous est pénible d’être à charge, et vous dites que Dieu seul connaît la pressante nécessité à laquelle vous avez obéi en vous adressant à moi. Ici j’ai redoublé d’attention à la lecture de votre lettre pour apprendre quelle était cette nécessité, et voici ce que j’ai lu : « Vous connaissez les hommes ; ils sont portés au blâme ; si on est interrogé et qu’on réponde mal, on passe pour ignorant et imbécile. » A cet endroit vraiment j’ai pris feu pour vous répondre ; cette maladie de votre âme a touché la mienne, et vous vous êtes violemment substitué à tout ce qui m’occupe, et je n’ai plus songé qu’à vous porter secours autant que Dieu me le permettra. Je ne m’inquiète pas de résoudre vos questions, mais de vous empêcher de faire dépendre votre félicité des discours des hommes, pour que vous établissiez votre bonheur sur un fondement solide et inébranlable. Ne voyez-vous pas, ô cher Dioscore, que votre Perse vous insulte par ce vers qu’il vous jette à la face, et que, par un soufflet mérité, il frappe et corrige une tête tout à fait d’enfant,