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dimanche, nous puissions dignement chanter d’un même cœur : Vous avez rassasié, Seigneur, l’âme qui était vide, et abreuvé l’âme qui avait soif[1]. » En disant ceci et en n’exceptant que le dimanche de la fréquence du jeûne, il n’accuse pas seulement les peuples chrétiens d’Orient et d’Occident chez qui personne ne jeûne le samedi ; mais l’imprudent et le maladroit accuse l’Église de Rome elle-même. Car lorsqu’il dit que « ceux qui demeurent sous la discipline du Christ ne doivent pas le samedi faire de joyeux festins avec des fils sans loi, avec les princes de Sodome, avec le peuple de Gomorrhe, mais, par la loi solennelle de l’Église, doivent jeûner de plus en plus légitimement avec ceux qui aspirent à la sainteté, avec les dévots amis de Dieu ; » et lorsque, définissant ce qu’il entend par jeûner légitimement, il ajoute que « pendant les six jours la moindre faute doit être lavée dans les fontaines du jeûne ; de la prière et de l’aumône, » il est évident que, selon lui, ceux qui jeûnent moins de six jours dans la semaine n’observent pas ce jeûne légitime, ne sont pas dévoués à Dieu et ne peuvent se purifier des taches inséparables de notre vie mortelle. Que les Romains voient ce qu’ils ont à faire, car la dissertation ne les épargne pas. Chez eux, à l’exception d’un petit nombre de clercs et de moines, qui donc observe le jeûne tous les jours ? surtout parce que à Rome on n’a pas coutume de jeûner le jeudi.

10. Ensuite, je le demande : Si le jeûne de chaque jour nous délivre et nous purifie des fautes légères de chaque jour, car il dit : « Que pendant les six jours la moindre faute soit lavée aussi dans les fontaines du jeûne, » que ferons-nous de la faute dans laquelle nous serons tombés le dimanche, où le jeûne est un scandale ? Ou bien, si, ce jour-là, nul chrétien ne pèche, qu’il reconnaisse donc, ce grand jeûneur toujours prêt à accuser les adorateurs du ventre, combien il accorde aux ventres d’avantage et d’honneur, puisqu’il s’ensuivrait qu’on ne pèche pas du moment qu’on dîne. Mais peut-être a-t-il placé une efficacité si grande dans le jeûne du samedi, qu’il suffit pour effacer les fautes légères des six jours et même du dimanche, et pense-t-il que le seul jour où on ne pèche pas est celui qu’on passe tout entier dans le jeûne ? Mais pourquoi donc, se conformant à la coutume chrétienne, attache-t-il plus d’importance religieuse au dimanche qu’au samedi ? Car voilà qu’il trouve le jour du samedi beaucoup plus saint, parce qu’on y jeûne et on n’y pèche pas, et que la vertu du jeûne efface les fautes des autres jours et du dimanche même : je doute fort que cette opinion soit de votre goût.

11. Mais pendant que l’auteur veut se donner pour un homme tout spirituel et qu’il ne voit que des gens charnels dans ceux qui dînent le samedi, remarquez comme il ne mange pas maigrement le dimanche et comme il se plaît dans ce copieux repas qu’il appelle alogie ! Que signifie ce mot alogie, d’origine grecque, si ce n’est un festin où l’on s’éloigne du chemin de la raison ? Et on appelle aloques les animaux privés de raison, auxquels peuvent être comparés ceux qui sont adonnés à leur ventre c’est pourquoi on nomme alogie ce repas immodéré où l’âme, qui est le siège de la raison, se trouve comme submergée dans le boire et le manger. Ce banquet du dimanche, où tout est pour le ventre et rien pour l’esprit, est jugé digne qu’on le chante et qu’on le consacre par ces paroles : «. Vous avez rassasié, Seigneur, une âme qui était vide, et vous avez abreuvé une âme qui avait soif ! » O l’homme spirituel ! ô le censeur des gens charnels ! ô le grand jeûneur et qui ne fait rien pour son ventre ! Voilà celui qui nous avertit de ne pas corrompre la loi du Seigneur par la loi du ventre, de ne pas vendre le pain du ciel pour une nourriture terrestre il ajoute que « dans le paradis Adam périt par la nourriture, et que ce fut par la nourriture qu’Esaü perdit son rang. » Et il dit encore que « c’est par le ventre que Satan a surtout coutume de nous tenter, qu’il donne peu pour ôter tout, et que l’intelligence de ces préceptes ne fait pas plier ceux qui adorent leur ventre. »

12. Ses paroles ne tendent-elles pas à conclure qu’il faut aussi jeûner le dimanche ? Autrement le samedi où le Seigneur reposa dans le sépulcre, sera plus saint que le dimanche où il ressuscita d’entre les morts. Assurément cela est, si, selon les paroles de cet homme, le jeûne du samedi préserve de tout péché et efface même les souillures des autres jours ; tandis que la tentation du ventre par la nourriture sera irrésistible le dimanche ; le démon arrive, on est chassé du paradis et on perd son rang. Par une contradiction nouvelle, cet

  1. Psa. CVI, 9