Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome II.djvu/196

Cette page n’a pas encore été corrigée

2. Voyez plutôt ma lettre à laquelle vous avez été si lent à répondre ; j’y ai suffisamment exprimé mes sentiments ; mais vous l’avez, je crois, oubliée, et vous me dites des choses qui n’y ont aucun rapport. Vous avez cru vous rappeler mes paroles, et vous m’avez prêté ce que je n’ai pas dit. Vous prétendez trouver à la fin de ma lettre qu’on ne demande ni tête ni sang pour venger l’Église, mais qu’il faut ôter aux coupables les biens qu’ils craignent tant de perdre. Voulant montrer ensuite combien cela est mal, vous ajoutez que la spoliation vous paraît plus rigoureuse que la mort. Et pour achever de faire connaître de quels biens il s’agit ici, vous continuez et me dites que j’ai dû voir souvent dans les livres « que la mort ôte le sentiment de tous les maux et qu’une vie d’indigence rend malheureux pour toujours. » Puis vous concluez « qu’il est plus triste de vivre misérablement que de trouver par la mort le terme de toutes les misères. »

3. Et moi je ne me souviens pas d’avoir jamais lu qu’une vie d’indigence rend malheureux pour toujours ; je ne l’ai lu ni dans nos livres saints, à l’étude desquels j’avoue avec regret m’être appliqué trop tard, ni dans vos livres que j’ai eus entre les mains dès mon enfance. La pénible pauvreté n’a jamais été un péché ; elle est pour les pécheurs une espèce de contrainte et de punition. Et parce que quelqu’un a été pauvre, il n’y a pas pour cela à craindre après cette vie un malheur éternel pour son âme ; et quant à ce monde, il ne saurait y avoir aucun malheur éternel, puisque la vie d’ici-bas n’est pas éternelle, et n’est pas même de longue durée, à quelque âge, à quelque vieillesse qu’on parvienne. Ce que j’ai lu plutôt dans les livres dont vous me parlez, c’est qu’elle est courte cette vie dont nous jouissons et où vous supposez qu’on puisse trouver un malheur éternel. Dans quelques-uns de vos ouvrages, on dit, il est vrai, que la mort est la fin de tous les maux ; mais tous vos auteurs ne pensent pas ainsi. Épicure est de ce sentiment, et aussi ceux qui croient que l’âme est mortelle. Mais d’autres philosophes, que Cicéron appelle consulaires pour montrer en quelle grande estime il tient leur autorité, ne croient pas qu’à la mort l’âme s’éteigne ; ils croient qu’elle passe d’un monde à un autre, et que, selon le bien ou le mal qu’elle a fait, elle trouve éternellement la félicité ou la misère. Cela s’accorde avec les saints livres dans lesquels je voudrais être savamment versé. Oui, la mort est la fin des maux, mais pour ceux dont la vie a été chaste, pieuse, fidèle, innocente, non pour ceux qui, passionnément épris des frivolités et des vanités du temps, prouvent qu’ils sont misérables par la corruption même de leur volonté pendant qu’ils se croient heureux au milieu des joies du monde, et qui, après la mort, sont forcés non-seulement de reconnaître de plus grandes misères, mais même de les sentir.

4. Et comme ces vérités se retrouvent fréquemment dans quelques-uns des grands hommes que vous honorez le plus et dans tous nos livres, craignez, ô vous qui aimez votre patrie de la terre, craignez pour vos concitoyens, non pas une vie d’indigence, mais une vie de plaisir : ou si vous redoutez pour eux la pauvreté, engagez-les plutôt d’éviter cette pauvreté qui ne cesse de convoiter, quelque magnifiques que soient les biens dont on jouisse sans pouvoir se rassasier, cette pauvreté qui, selon l’expression de vos auteurs, reste toujours la même dans l’abondance comme dans le besoin. Toutefois, dans la lettre à laquelle vous avez répondu, je n’ai pas dit qu’il faille punir vos concitoyens, ennemis de l’Église, en les condamnant à cette indigence, qui est la privation du nécessaire, et que la pitié ne délaisse pas, cette pitié dont vous avez cru devoir m’écrire qu’elle se révèle dans la nature de nos œuvres, quand nous soutenons les pauvres, quand nous cherchons à soulager les malades et que nous appliquons des remèdes pour les souffrances du corps ; et d’ailleurs un tel état d’indigence est plus profitable qu’une abondance de toutes choses pour assouvir les mauvais désirs. Mais à Dieu ne plaise que je croie qu’il faille réprimer de la sorte les gens de Calame dont il s’agit ici !

5. Repassez ma lettre si cependant elle vous a paru mériter non d’être relue quand vous avez dû me répondre, mais d’être conservée pour qu’on la reinette sous vos yeux quand vous la redemanderez ; repassez donc ma lettre et voyez ce que j’y ai dit ; vous y trouverez ceci à quoi vous avouerez sans doute que vous n’avez pas répondu : « Nous ne songeons pas à satisfaire à des sentiments de colère en vengeant le passé, mais nous cherchons miséricordieusement à pourvoir aux intérêts de l’avenir. Les méchants peuvent être punis par les chrétiens non-seulement avec douceur, mais d’une façon qui leur est utile