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que je ne recevrais pas cette femme d’un cœur corrompu, à moins que de son propre mouvement elle ne choisît elle-même un meilleur parti ; le paysan ayant commencé à frapper sa fille pour triompher de sa résistance, je l’en ai empêché aussitôt. En traversant le pays de Spane, nous fûmes apostrophés par un prêtre de Proculéien, qui se tenait debout au milieu d’un champ appartenant à une pieuse femme catholique ; il nous appelait traditeurs[1] et persécuteurs. La femme de notre communion, dont il foulait le sol, ne fut pas elle-même à l’abri de ses outrages. À ces cris injurieux, je ne me retins pas seulement moi-même, mais j’arrêtai aussi tous ceux qui m’accompagnaient. Et cependant si je dis : cherchons qui sont ceux qui méritent les noms de traditeurs et de persécuteurs, on me répond : – Nous ne voulons pas discuter, nous voulons rebaptiser. Nous voulons tendre des pièges à vos brebis et les déchirer comme des loups ; vous, si vous êtes de bons pasteurs, taisez-vous. – Proculéien m’a-t-il fait dire autre chose s’il m’a véritablement fait dire ceci : Si vous êtes chrétien, laissez cela au jugement de Dieu ; si nous faisons autrement, vous, taisez-vous. – Le même prêtre a osé menacer le fermier de l’Église dont je vous parlais tout à l’heure.

5. Que Proculéien connaisse tout cela par vous, je vous en prie ; qu’il réprime les Violences de ses clercs, ces violences que j’ai dû vous signaler, honorable Eusèbe. Daignez me dire, non pas ce que vous pensez de tout ceci, car ne croyez pas que je veuille vous imposer le fardeau de juge entre nous, mais ce qui vous aura été répondu. Que la miséricorde de Dieu vous conserve, excellent, justement cher et bien-aimé seigneur et frère.

LETTRE XXXVI.

((Année 396.)

Voici une réponse à une dissertation partie de Rome en faveur du jeûne du samedi. Cette lettre nous apprend comment on comprenait et on pratiquait le jeûne dans l’antiquité chrétienne. Elle abonde en détails instructifs.

AUGUSTIN À CASULAN, SON BIEN-AIMÉ ET TRÈS-DÉSIRABLE FRÈRE ET COLLÈGUE DANS LE SACERDOCE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. J’ignore comment il s’est fait que je n’aie pas répondu à votre première lettre : je sais cependant que ce n’est pas dédain de ma part ; car j’aime vos études et votre langage même, et je vous exhorte vivement à mettre à profit votre jeunesse pour avancer dans la parole de Dieu et pour édifier de plus en plus l’Église. Ayant reçu de vous une seconde lettre où vous me redemandez une réponse par le droit le plus équitable, le droit fraternel de cette charité dans laquelle nous ne faisons qu’un, je n’ai pas voulu différer plus longtemps, et, malgré mes très-pressantes occupations, je viens m’acquitter de ce que je vous dois.

2. Vous me consultez pour savoir s’il est permis de jeûner le samedi. Je réponds que si cela n’était nullement permis, certainement ni Moïse, ni Élie, ni le Seigneur lui-même n’auraient jeûné quarante jours de suite. Par la même raison, il n’est pas défendu de jeûner le dimanche. Et toutefois si on pensait qu’il faut consacrer ce jour-là au jeûne, comme quelques-uns jeûnent le samedi, on scandaliserait grandement l’Église, et non point à tort. Sur ces points où la divine Écriture n’a rien statué de certain, la coutume du peuple de Dieu et les pratiques des ancêtres doivent être tenues pour lois. Si nous en voulions disputer et condamner les uns par les usages des autres, il naîtrait une lutte sans fin à laquelle, malgré toutes les recherches de l’éloquence, les témoignages certains de la vérité manqueraient toujours, et il y aurait à craindre que les orages de la discussion ne vinssent obscurcir la sérénité de la charité. La pensée de ce péril a été négligée par celui dont vous avez cru devoir m’envoyer, avec votre première lettre, la longue dissertation pour que j’y réponde.

3. Je n’ai pas d’assez grands loisirs pour réfuter ses opinions une à une ; je suis obligé de les donner à des travaux plus urgents. Mais considérez vous-même avec un peu plus d’attention et avec cet esprit que vous montrez dans vos lettres et que j’aime comme un don de Dieu, le discours de ce certain Romain, ainsi que vous l’appelez, et vous verrez qu’il n’a pas craint de déchirer presque toute l’Église du Christ, depuis le levant jusqu’au couchant, par d’outrageantes paroles ; je ne devrais pas dire presque toute, mais toute l’Église, car il n’a pas même épargné les Romains, dont il semble défendre les usages, ne prenant pas garde que l’impétuosité de ses injures va les

  1. On donnait le nom de traditeurs à ceux qui, durant la persécution, avaient livré les livres saints aux païens. Ce nom était devenu une injure que les donatistes adressaient aux catholiques.