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Christ ; et maintenant il est un autre sacrifice conforme à cette manifestation, qui est offert par nous tous, qui portons le nom de chrétien, et marqué non-seulement dans l’Évangile, mais encore dans les livres des prophètes. Car ce changement qui ne regarde ni Dieu ni la religion elle-même, mais qui ne porte que sur les sacrifices et les cérémonies, semblerait aujourd’hui bien hardi à prêcher, s’il n’avait été annoncé à l’avance. De même en effet qu’un homme qui le matin offrirait à Dieu tel sacrifice et en offrirait tel autre le soir, selon la convenance du moment, ne changerait ni de Dieu ni de religion, pas plus qu’un homme qui le matin saluerait d’une manière et d’une autre le soir ; ainsi dans le cours universel des siècles, quoique les saints d’autrefois aient offert un sacrifice différent des sacrifices d’à présent, non point par une pensée humaine, mais par l’autorité divine, j’y vois des mystères célébrés selon la convenance des temps, et non un changement de Dieu ni de religion. QUATRIÈME QUESTION. Sur cette parole de l’Écriture : « Vous serez mesurés à la même mesure dont vous aurez mesuré (1). »

22. Il nous faut examiner ensuite la question posée sur la proportion du péché et du supplice, lorsque, calomniant l’Évangile, notre païen s’exprime ainsi : « Le Christ menace de supplices éternels ceux qui ne croiront pas en lui[1]]] ; » et d’ailleurs il dit : « Vous serez mesurés à la même mesure, dont vous aurez mesuré. Il y a ici, poursuit le païen, ridicule et contradiction ; car si la peine à infliger doit avoir une mesure, toute mesure étant bornée à un espace de temps, que signifient les menaces d’un supplice sans fin ? »

23. Il est difficile de croire qu’un philosophe, quel qu’il soit, ait pu faire cette objection ; on dit ici que toute mesure est bornée à un espace de temps, comme s’il ne pouvait être question que d’heures, de jours et d’années, ou comme s’il s’agissait de syllabes longues ou brèves. Car je crois que les muids et les boisseaux, les urnes et les amphores ne sont pas des mesures de temps. Comment donc toute mesure sera-t-elle bornée à un espace de temps ? Ces païens ne disent-ils pas que le soleil est éternel ? Ils 1. Matth. VII, 2. osent pourtant mesurer sa grandeur par les règles de la géométrie et la comparer à la grandeur de la terre. Qu’ils puissent ou ne puissent pas la connaître, il est certain que le globe du soleil a sa propre mesure ; s’ils comprennent combien il est étendu, ils comprennent sa mesure ; sinon, ils ne la comprennent pas. Mais elle n’en existe pas moins si les hommes ne peuvent parvenir à la connaître. Quelque chose peut donc être éternel et avoir une mesure certaine de son propre mode. J’ai parlé, selon leur opinion, de l’éternité du soleil, pour les convaincre avec leur propre sentiment, et afin qu’ils m’accordent que quelque chose peut être éternel et avoir cependant une mesure. Et dès lors ils ne doivent plus refuser de croire au supplice éternel dont le Christ menace le péché, en s’autorisant de ce que le même Christ a dit : Vous serez mesurés à la même mesure dont vous aurez mesuré.

24. Si le Christ avait dit : Ce que vous avez mesuré, on vous le mesurera, il ne serait pas nécessaire d’entendre cette parole d’une chose qui fût la même sous tout rapport. Nous pouvons bien dire : Vous recueillerez ce que vous aurez planté, quoique personne ne plante le fruit, mais l’arbre, et que l’on cueille le fruit, et non pas le bois : mais nous disons cela pour désigner l’espèce d’arbre, et pour faire entendre qu’après avoir planté un figuier ce ne sont pas des noix qu’on recueille. C’est ainsi qu’on pourrait dire : Vous souffrirez ce que vous aurez fait souffrir ; cela ne signifie pas que celui qui a déshonoré doit être déshonoré à son tour ; mais ce qu’il a fait contre la loi par ce péché, la loi doit le lui rendre ; le coupable a rejeté de sa vie la loi qui défend de tels crimes que la loi à son tour le rejette de cette vie humaine qu’elle est destinée à régir. Si donc le Christ avait dit : On vous mesurera autant que vous aurez mesuré, il n’en résulterait pas que les peines dussent être de tout point égales aux péchés. Ainsi, par exemple, le froment et l’orge ne sont pas des choses égales, et on pourrait dire : On vous mesurera autant que vous aurez mesuré, c’est-à-dire autant de froment que d’orge. S’il s’agissait de douleurs, et si on disait : On vous en rendra autant que vous en avez fait souffrir, il pourrait se faire que la douleur infligée fût pareille, quoiqu’elle se prolongeât plus longtemps : elle serait plus grande pour la durée, mais égale par la violence. Si nous disons de deux lampes : celle-ci

  1. Jacq. II, 13.