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siècles avant le Christ ? Je laisse les temps qui ont précédé le royaume du Latium, et je prends le Latium même pour le commencement de la société humaine. On adora les dieux dans le Latium avant la fondation d’Albe ; il y eut à Albe des religions et des cérémonies dans les temples. Rome est restée de longs siècles sans connaître la loi chrétienne. Que sont devenues tant d’âmes innombrables, qui n’ont aucun tort, puisque Celui à qui on aurait pu croire ne s’était pas encore montré aux hommes ? L’univers s’enflamma pour le culte des dieux comme Rome elle-même. Pourquoi celui qui a été appelé le a Sauveur s’est-il dérobé à tant de siècles ? Dira-t-on que le genre humain a eu l’ancienne loi des Juifs pour se conduire ? Mais ce n’est qu’après un long espace de temps que la loi juive a paru et a été en vigueur dans un coin de la Syrie, d’où elle est venue ensuite en et Italie ; et ce fut après César Caïus, ou tout au plus sous cet empereur. Que sont donc devenues les âmes des Romains et des Latins qui, jusqu’au temps des Césars, ont été privées de la grâce du Christ non encore venu sur la terre ? »

9. En répondant à cette question, nous demanderons d’abord à nos contradicteurs si le culte de leurs dieux, dont nous connaissons les dates certaines, a été profitable aux hommes. S’ils disent que ce culte a été inutile au salut des âmes, ils le détruisent avec nous et en reconnaissent la ’vanité ; il est vrai, nous montrons que ce culte a été pernicieux, mais c’est déjà quelque chose que les païens avouent qu’il ne sert à rien. Si au contraire ils défendent le polythéisme et en proclament la sagesse et l’utilité, je demande ce que sont devenus ceux qui sont morts avant les institutions païennes, car ils ont été privés de cet important moyen de salut ; mais s’ils ont pu se purifier d’une autre manière, pourquoi leur postérité n’aurait-elle pas fait comme eux ? Quel besoin y avait-il d’instituer de nouvelles consécrations, inconnues aux anciens ?

10. Sion nous dit que les dieux ont toujours été, qu’ils ont eu toujours et partout la puissance de délivrer leurs adorateurs, mais que, sachant ce qui convenait aux temps et aux lieux à cause de la diversité des âges et des choses humaines, ils n’ont pas voulu être servis de la même façon en tous pays et à toutes les époques, pourquoi appliquent-ils à la religion chrétienne une difficulté à laquelle ils ne peuvent répondre pour leurs dieux sans répondre aussi pour nous-mêmes : que la différence des cérémonies selon les temps et les lieux importe peu, si ce qu’on adore est saint ; de même que peu importe la diversité des sons au milieu de gens de diverses langues si ce qu’on dit est vrai ? Ils doivent néanmoins reconnaître ici une différence, c’est que les hommes peuvent, par un certain accord de société, former des mots pour se communiquer leurs sentiments[1], et que les sages, en matière de religion, se sont toujours conformés à la volonté de Dieu. Cette divine volonté n’a jamais manqué à la justice et à la piété des mortels pour leur salut, et si chez divers peuples il y a diversité de culte dans une même religion, il faut voir jusqu’où vont ces différences et concilier ce qui est dû à la faiblesse de l’homme et ce qui est dû à l’autorité de Dieu.

11. Nous disons que le Christ est la parole de Dieu par laquelle tout a été fait ; il est le Fils de Dieu parce qu’il est sa parole, non pas une parole qui se dit et qui passe, mais immuable et permanente en Dieu qui ne passe pas, une parole gouvernant toute créature spirituelle et corporelle selon les temps et les lieux, étant elle-même la sagesse et la science pour régir chaque chose dans les conditions qui lui sont propres : le Christ est toujours le Fils de Dieu, coéternel au Père, immuable sagesse par laquelle toute chose a été créée et qui est le principe de bonheur de toute âme raisonnable ; il est toujours le même, soit avant qu’il multiplie la nation des Hébreux dont la loi a été la figure prophétique de son avènement, soit pendant la durée du royaume d’Israël, soit lorsque, prenant un corps dans le sein d’une Vierge, il se montre comme un mortel au milieu des hommes ; il demeure le même depuis ces époques lointaines et diverses jusqu’à présent où il accomplit toutes les prophéties, et jusqu’à la fin des temps où il séparera les saints des impies et rendra à chacun selon ses œuvres. 12. C’est pourquoi, depuis le commencement du genre humain, tous ceux qui ont cru en lui, qui l’ont

  1. On se tromperait si on voulait s’armer de ce passage de saint Augustin pour prouver que le langage est d’invention humaine. Le texte porte : lingua sonos, quibus inter se sua sensa communicent etiam homines, pacto guodam societatis sibi instituere possunt. Jamais ces mots linquae sonos instituere ne voudront dire : inventer une langue. La formation des mots ou des langues ne saurait être ni la création de la langue primitive ni l’invention du langage. La première langue est celle du premier homme parce que Dieu lui a parlé, et, quant à la parole, elle est éternelle.