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à la fois dans deux hommes, sans que celui-ci sache que la même grâce a été accordée à celui-là. Au contraire, l’esprit de l’un n’est pas l’esprit de l’autre, et la faute ne saurait être commune à celui qui pèche et à celui qui ne pèche pas. Un enfant engendré selon la chair peut donc être régénéré par l’Esprit de Dieu, qui l’absout de la faute originelle ; mais, une fois régénéré par l’Esprit de Dieu, il ne peut être engendré de nouveau selon la chair, de façon à contracter de nouveau la souillure d’Adam. La grâce du Christ qu’il a reçue, il ne la perdra que par sa propre impiété, si avec l’âgé il se pervertit ; alors aussi commenceront des fautes personnelles que la régénération baptismale n’effacera plus, et pour lesquelles il faudra d’autres remèdes.

3. Toutefois c’est avec raison qu’on appelle homicides selon l’esprit les parents qui s’efforcent d’engager au culte sacrilège du démon soit leurs fils, soit d’autels enfants baptisés ; ils ne tuent pas, mais ils sont meurtriers autant qu’ils peuvent, et méritent qu’on leur dise, pour les détourner de ce crime : Ne tuez pas vos enfants. Car l’Apôtre, en disant : « N’éteignez pas le Saint Esprit[1], » n’entend pas qu’il soit possible de l’éteindre, mais il a raison d’adresser ce langage à des gens qui agissent comme s’ils voulaient y parvenir. C’est en ce sens qu’un peut comprendre le passage de saint Cyprien dans son épître sur ceux qui sont tombés[2], à l’endroit où il blâme les chrétiens assez faibles pour avoir sacrifié aux idoles au temps de la persécution : « Pour que le crime fût complet, dit-il, les parents ont, de leurs propres mains, posé leurs enfants sur les idoles ou bien les leur ont fait toucher, et les enfants ont perdu ce qu’ils avaient gagné aussitôt après leur naissance. » Ils ont perdu, dit saint Cyprien, autant que cela a pu dépendre de ceux qui ont travaillé à leur faire perdre. Ils ont perdu, dans la pensée et la volonté de ceux qui se sont aussi criminellement conduits envers eux. Car, s’ils avaient réellement perdu le bienfait de la régénération baptismale, ils seraient restés sous le coup de la sentence divine sans défense possible ; et si tel était le sentiment de saint Cyprien, il ne se hâterait pas de prendre la défense de ces enfants en ces termes : « Quand viendra le jour du jugement ne diront-ils pas : Nous n’avons rien fait, nous n’avons pas abandonné le pain et le calice du Seigneur pour nous précipiter volontairement vers ces profanations odieuses ; c’est l’infidélité d’autrui qui nous a perdus, nous avons eu des parents homicides ; ils ont renié pour nous l’Église notre mère, et le Seigneur notre père ; petits et ne pouvant rien prévoir, ne comprenant rien à un tel crime, c’est par d’autres que nous y avons participé, et c’est par la tromperie d’autrui que nous y avons été poussés. » Puisque saint Cyprien a ajouté cette défense, c’est qu’il la croyait très-juste et profitable aux enfants dans le jugement de Dieu. Car s’il est dit avec vérité : Nous n’avons rien fait, « c’est l’âme qui aura péché qui mourra, » et ils ne périront pas sous le juste jugement de Dieu, ces enfants que leurs parents ont perdus par leur crime autant que cela dépendait d’eux.

4. Il est parlé, dans la même lettre de saint Cyprien, d’une petite fille abandonnée à une nourrice par des parents obligés de fuir ; cette nourrice l’avait fait porter aux mystères abominables des démons ; conduite ensuite à l’église, elle avait rejeté de la bouche, par des mouvements miraculeux, l’Eucharistie qu’on lui avait donnée ; je vois dans cet exemple un avertissement divin pour prouver aux parents qu’en de telles iniquités ils pèchent envers leurs enfants ; et ces mouvements de ceux qui ne peuvent pas encore parler, leur font comprendre d’une manière merveilleuse combien ils ont tort de se jeter sur les sacrements après un pareil crime, au lieu de s’en abstenir comme ils le devraient dans des sentiments de pénitence. Quand la Providence divine agit ainsi au moyen de ces enfants, il ne faut pas croire qu’il y ait de leur part connaissance et raison ; de même qu’on ne doit pas admirer la sagesse des ânes, parce qu’il plut un jour à Dieu de réprimer la folie d’un prophète en faisant parler une ânesse[3]. Or, si quelque chose de semblable à l’homme a été entendu dans un animal irraisonnable (ce qu’il faut attribuer à un miracle, et non pas à l’âne lui-même), le Tout-Puissant a pu, par l’âme d’un enfant, non dépourvue de raison, mais où la raison était encore endormie, montrer, au moyen de mouvements corporels, quels étaient les devoirs de ceux qui avaient péché envers eux-mêmes et envers leurs enfants. Mais, comme l’enfant ne rentre pas dans celui qui lui a donné le jour, pour ne faire qu’un seul et même homme avec

  1. I Thess. V, 19.
  2. De lapsis.
  3. Nomb. XXII, 28.