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Mais ce serait trop audacieux de reprocher à l’Église, que tant de divins témoignages nous prouvent être l’Église du Christ, de traiter différemment ceux qui, sortis de son sein, lui reviennent par la pénitence, et ceux qui, ne lui ayant jamais appartenu, reçoivent sa paix pour la première fois ; elle humilie davantage les uns, elle se montre plus douce envers les autres, mais elle les aime tous et s’attache avec une maternelle charité à les guérir tous. Vous avez une lettre plus longue peut-être que vous n’auriez voulu ; elle eût été beaucoup plus courte si, en vous répondant, je n’avais pensé qu’à vous ; mais, si elle ne vous sert de rien, je ne crois pas qu’elle soit inutile à ceux qui auront soin de la lire avec la crainte de Dieu et sans acception de personnes. Ainsi soit-il.

LETTRE XCIV.

(Année 408.)

Saint Paulin, se trouvant à Rome après Pâques, selon sa coutume, avait reçu de saint Augustin un de ses ouvrages ; il ne nous dit pas lequel ; pour mieux en jouir, il avait attendu d’être sorti de Rome où trop de bruit l’importunait. Saint Paulin loue la courage religieux de Mélanie, les bonnes œuvres du sénateur Publicola, petit-fils de cette illustre et sainte dame romaine, et parle du renoncement chrétien qu’il appelle une mort évangélique. Comme l’évêque d’Hippone lui avait demandé quelle serait l’occupation des élus dans le ciel, le saint époux de Thérasie exprime humblement quelques pensées à cet égard. Cette lettre respire la plus respectueuse et la plus profonde admiration pour la sainteté et. le génie de l’évêque d’Hippone.

AU SAINT ÉVÉQUE DU SEIGNEUR, A LEUR INCOMPARABLEMENT CHER ET VÉNÉRABLE PÈRE, FRÈRE ET MAITRE AUGUSTIN, LES PÉCHEURS PAULIN ET THÉRASIE.


1. Votre parole est toujours un flambeau pour mes pas et une lumière pour mon chemin. Ainsi, chaque fois que je reçois des lettres de votre bienheureuse sainteté, je sens que les ténèbres qui obscurcissent mon esprit se dissipent, et que grâce à ce collyre appliqué sur les yeux de mon âme, j’y vois plus clair : la nuit de l’ignorance s’en va, les ombres du doute s’effacent. Je l’ai souvent éprouvé par les lettres dont vous m’avez favorisé, mais jamais mieux que par ce dernier ouvrage de vous qu’est venu m’apporter en votre nom un homme béni du Seigneur, notre cher et digne frère Quintus, diacre. Lorsqu’il nous a remis ce don sacré de votre génie, il y avait déjà longtemps qu’il se trouvait à Rome : j’y étais allé après Pâques, selon ma coutume, pour y vénérer les tombeaux des apôtres et des martyrs[1]. Toutefois, oubliant le temps qu’il avait passé à Rome à mon insu, il m’a semblé qu’il ne faisait que d’arriver d’auprès de vous ; je croyais surtout qu’il venait de vous quitter à peine lorsque, la première fois que je le vis, il me présentait ces fleurs de votre génie, qui tint les parfums du ciel. J’avouerai cependant à votre vénérable charité que je n’ai pas pu lire à Rome ce livre, aussitôt que je l’ai eu entre les mains. La foule y était si grande et si bruyante que je n’aurais pu y trouver assez de recueillement pour apprécier votre œuvre et eu jouir, comme je le désirais : j’aurais voulu aller jusqu’au bout, si j’en avais commencé la lecture. Aussi j’ai retenu la faim de mon esprit comme on prend patience en attendant un festin qui ne peut pas nous manquer ; j’avais l’espérance certaine de me rassasier, puisque je tenais dans la main ce livre comme le pain de mon désir que j’allais dévorer ; je soupirais après le moment où je me nourrirais de ce miel qui devait m’être si doux et à la bouche et aux entrailles[2] ; mais j’attendais notre sortie de Rome et la halte d’un jour que nous devions faire à Formies[3] pour me livrer tout entier et avec une tranquille liberté aux délices spirituelles de votre livre.

2. Un homme aussi pauvre et aussi terrestre que moi, que peut-il répondre à la sagesse qui vous a été donnée d’en haut, à cette sagesse que le monde ne comprend pas, que nul ne goûte si Dieu ne l’éclaire et ne lui prête sa parole ? Comme je sais que le Christ lui-même palle par votre bouche, c’est en Dieu que je louerai vos discours, et je ne craindrai pas les terreurs de la nuit. Car vous m’avez appris, dans l’esprit de vérité, à accepter les maux inséparables de cette mortelle vie, avec cette modération salutaire et résignée que vous avez vue en la bienheureuse mère et aïeule Mélanie pleurant la mort d’un fils unique a dans un deuil silencieux, mais non sans larmes maternelles. Plus près d’elle, parce que votre âme ressemble plus à la sienne, vous avez mieux compris les larmes réglées et sérieuses de cette femme si parfaite en Jésus-Christ ; tout en gardant la vigueur d’un esprit viril, vous n’avez eu besoin que de vous sentir vous-même pour sentir le cœur maternel de Mélanie[4] ; vous l’avez vue pleurer d’abord par naturelle affection, ensuite par un motif plus élevé, car elle n’a pas seulement gémi sur la perte d’un fils unique de condition mortelle, mais elle s’affligeait surtout que la mort l’eût surpris engagé dans les vanités de ce monde : il n’avait

  1. Voilà encore un témoignage qui prouve l’ancienne coutume chrétienne d’honorer les reliques des saints. Nous recommandons ce passage de la lettre de saint Paulin aux protestants de bonne toi. Dans le IVe siècle, la secte des Eunoméens appelait idolâtrie le culte des martyrs, et l’évêque catholique d’Amasie, Astérius, parlant au nom de la foi chrétienne, répondait à ces dissidents des premiers âges : « Nous n’adorons pas les martyrs, mais nous les honorons comme les vrais adorateurs de Dieu ; nous ne rendons pas de culte à des hommes, mais nous admirons ceux qui, au jour des épreuves, ont noblement sacrifié à Dieu. Nous plaçons leurs restes dans de précieux reliquaires, et nous élevons pour eux des maisons de repos magnifiquement ornées, afin d’entretenir l’émulation des morts glorieuses. »
  2. Ezéch. III, 3 ; Apoc. II, 9, 10.
  3. Aujourd’hui Formello.
  4. Publicola, que saint Paulin appelle le fils unique de Mélanie, était son petit-fils. Mélanie avait perdu, jeune encore, son mari et deux enfants. Voyez ce que nous avons dit de cette sainte et illustre dame romaine, dans l’ Histoire de Jérusalem chap. 26.