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la terre comme ils la comprenaient ; ce n’est pas l’imitation de leurs dieux qu’ils proposaient à la jeunesse pour la former, mais l’imitation des hommes qui, par leurs vertus, leur paraissaient dignes de louanges. Et en effet ce jeune homme de Térence qui, voyant sur un mur une peinture représentant l’adultère du roi des dieux, sentit redoubler le feu de sa passion par l’autorité d’un si grand exemple, ne serait jamais tombé dans de criminels désirs et dans leur assouvissement, s’il avait préféré imiter Caton que Jupiter. Mais comment l’aurait-il fait, puisque, dans les temples, il était forcé d’adorer Jupiter plutôt que Caton ? Peut-être ne devons-nous pas tirer d’une comédie de quoi confondre les dissolutions des impies et leurs sacrilèges superstitions. Lisez ou rappelez-vous ce qui est dit dans ces mêmes livres de la République, que les comédies écrites ou jouées ne plairaient pas si elles ne s’accordaient avec les mœurs : il demeure donc établi par l’autorité et le témoignage des hommes les plus illustres dans l’État, que les gens les plus mauvais deviennent plus mauvais encore par l’imitation de leurs dieux, lesquels assurément ne sont pas de vrais dieux, mais des dieux faux et inventés.

5. Tout ce qu’on a écrit sur la vie et les mœurs des dieux, me direz-vous, doit être bien autrement compris et interprété par les sages. Et naguère nous avons entendu dans les temples, devant les peuples rassemblés, ces interprétations salutaires. Mais, je vous le demande, les hommes ferment-ils les yeux à la vérité au point de ne pas voir des choses si évidentes et si claires ? La peinture, le bronze, la sculpture, les écrits, les lectures, la comédie, le chant, la danse représentent en tant de lieux Jupiter commettant des adultères ; qu’importe si, seulement dans son Capitole, on le représente défendant ces désordres ? Si, personne ne l’empêchant, ces infamies bouillonnent au sein des peuples, sont adorées dans les temples et font rire au théâtre ; si, pour leur immoler des victimes, on dévaste le troupeau du pauvre ; si, pour le retracer par le jeu et la danse des histrions, on dissipe de riches patrimoines, peut-on dire que les villes soient alors florissantes ? Ces fleurs n’ont pas pour mère une terre fertile ni quelque riche vertu, mais une mère digne d’elles ; c’est la déesse Flore dont les jeux se célèbrent par les dernières turpitudes ; chacun doit comprendre quel démon est cette déesse qu’on n’apaise ni par des sacrifices d’oiseaux et de quadrupèdes, ni par le sang humain, mais ce qui est un crime beaucoup plus énorme, par le sacrifice de la pudeur humaine.

6. J’ai dit ceci parce que vous avez écrit que, votre âge vous rapprochant de la fin de la vie, vous désiriez laisser votre patrie tranquille et florissante. Que toutes ces vaines extravagances disparaissent, que les hommes soient amenés au vrai culte de Dieu et aux mœurs chastes et pieuses, c’est alors que vous verrez votre patrie florissante, non pas dans l’opinion des insensés, mais dans la vérité des sages ; d’ailleurs cette patrie de la chair et du temps sera ainsi une portion de l’autre patrie dont nous devenons les enfants, non par le corps mais par la foi, et où tous les saints et les fidèles de Dieu fleuriront après les travaux et en quelque sorte, après l’hiver de cette vie pendant l’interminable éternité. Aussi nous ne voulons ni mettre de côté la douceur chrétienne, ni laisser impuni dans cette cité un exemple pernicieux pour toutes les autres. Dieu nous assistera dans ces desseins de modération, si lui-même n’est pas trop indigné contre eux. Du reste nous ferions un appel inutile et à la mansuétude que nous désirons conserver, et à la sévérité tempérée à laquelle nous voulons recourir, si Dieu voulait secrètement a re chose, soit qu’il jugeât qu’un si grand mal dût être plus rigoureusement puni, soit que, par un plus terrible effet de sa colère, il le laissât impuni pour un temps, sans que les coupables fussent corrigés ni ramenés vers lui.

7. Votre sagesse nous fait remarquer le caractère épiscopal, et vous dites que votre patrie est tombée par un grave égarement de son peuple : « Si nous sommes jugés d’après la rigueur de la loi, dites-vous, cet égarement doit être frappé du châtiment le plus sévère. Mais, ajoutez-vous, il est du devoir de l’évêque de ne chercher que le salut des hommes, de n’intervenir dans leurs affaires que pour rendre leur situation meilleure, et de demander au Dieu tout-puissant le pardon de leurs fautes. » Voilà tout à fait ce que nous nous efforçons de faire ; soit que nous jugions, soit que tout autre juge et que nous intercédions, nous cherchons toujours à écarter le châtiment le plus sévère, et nous désirons procurer aux hommes le salut qui consiste dans le bonheur de bien vivre, et non pas dans le privilège de faire le