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les gentils en enseignant ce qu’il pensait, en pensant ce qu’il disait, et se serait-il fait juif avec les juifs en gardant dans le cœur des sentiments contraires à ses paroles, à ses actions, à ses écrits ? Dieu nous garde de croire cela ! L’Apôtre devait aux uns et aux autres la charité d’un cœur pur et d’une bonne conscience, et d’une foi non feinte[1]. C’est ainsi qu’il se fit tout à tous pour les sauver tous, non par une ruse menteuse, mais par une tendresse compatissante ; c’est-à-dire non pas en ayant l’air de faire le mal comme les autres, mais en travaillant à guérir miséricordieusement tous les maux, comme s’ils eussent été les siens propres.

28. Aussi lorsqu’il ne laissait voir en lui-même aucun éloignement pour les cérémonies de l’ancienne alliance, il ne trompait point par commisération, mais il honorait très-sincèrement des prescriptions divines qui devaient durer un certain temps, et ne voulait pas qu’on pût les confondre avec les sacrifices des gentils. Il se faisait juif avec les juifs, non point par une ruse menteuse mais par une tendresse compatissante, quand il voulait les tirer de leur erreur comme si elle eût été la sienne, de l’erreur par laquelle les Juifs refusaient de croire en Jésus-Christ, ou par laquelle ils pensaient pouvoir se purifier de leurs péchés et se sauver par l’observance de leurs anciennes cérémonies : il aimait son prochain comme lui-même, et faisait aux autres ce qu’il aurait voulu qu’on lui fît s’il en avait eu besoin : « c’est la loi et les prophètes, » comme le Seigneur le déclare, après l’avoir enseigné[2].

29. Cette tendresse compatissante, l’Apôtre la recommande aux Galates lorsqu’il dit : « Si quelqu’un est tombé par surprise en quelque péché, vous autres qui êtes spirituels, ayez soin de le relever dans un esprit de douceur, chacun de vous faisant réflexion sur soi-même, et craignant d’être tenté aussi bien que lui[3]. » Voyez s’il ne dit pas : Devenez semblable à lui pour le gagner. Non pas certes qu’il faille commettre la même faute ou feindre de l’avoir commise ; mais dans le péché d’autrui on doit voir la possibilité de sa propre chute, et on doit secourir les autres avec miséricorde comme on voudrait être soi-même secouru : c’est-à-dire, non avec une ruse menteuse, mais avec une tendresse compatissante. C’est ainsi que l’apôtre Paul en a agi avec le juif, avec le gentil, avec chaque homme engagé dans l’erreur ou dans quelque péché ; il ne feignait pas d’être ce qu’il n’était pas, mais il compatissait parce que, étant homme, il aurait pu le devenir : il se faisait tout à tous pour les sauver tous.

30. Daignez, je vous en prie, vous considérer un peu, vous considérer vous-même à l’égard de moi-même ; rappelez-vous, ou, si vous en avez gardé copie, relisez la courte lettre que vous m’avez envoyée par notre frère Cyprien, aujourd’hui mon collègue ; voyez avec quel accent sincère et fraternel, avec quelle effusion pleine de charité, après m’avoir vivement reproché quelques torts envers vous, vous ajoutez : « Voilà ce qui blesse l’amitié, voilà ce qui en viole les droits. N’ayons pas l’air de nous battre comme des enfants, et ne donnons pas matière à disputes à nos amis ou à nos détracteurs[4]. » Je sens que non-seulement ces paroles partent du cœur, mais qu’elles sont un conseil que vous me donnez avec bienveillance. Vous ajoutez ensuite, et je l’aurais compris lors même que vous ne le diriez pas : « Je vous écris ceci parce que je désire vous aimer sincèrement et chrétiennement, ni rien garder dans le cœur qui ne soit sur mes lèvres. » O saint homme ! bien véritablement aimé de mon cœur, comme Dieu le voit dans mon âme, ce sentiment que vous m’avez exprimé dans votre lettre et dont je ne puis douter, je crois que l’apôtre Paul l’a témoigné non à chaque homme en particulier, mais aux Juifs, aux Grecs, à tous les Gentils ses fils, à ceux qu’il avait engendrés dans l’Évangile ou à ceux qu’il travaillait à enfanter, et ensuite à tous les chrétiens des temps à venir, pour lesquels cette épître devait être conservée, afin que l’Apôtre ne gardât rien dans le cœur qui ne fût sur ses lèvres.

31. Assurément vous vous êtes fait vous-même tel que je suis, non par ruse menteuse, mais par tendresse compatissante, quand vous avez pensé qu’il ne fallait pas me laisser dans la faute où vous croyiez que j’étais tombé, comme vous auriez voulu qu’on ne vous y eût pas laissé si vous y étiez tombé vous-même. Aussi tout en vous rendant grâce de votre bienveillance, je demande que vous ne vous fâchiez pas contre moi si je vous ai dit mon sentiment sur

  1. I Tim. 1, 5.
  2. Matth. VII, 12.
  3. Gal. VI, 1.
  4. Ci-dessus, lett. LXXII, n. 4.