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sincérité m’apprit si un fidèle d’Orient qui va à Rome, doit faire semblant de jeûner les samedis, excepté le samedi de Pâques. Dirons-nous que le jeûne du samedi est un mal ? ce sera condamner non-seulement l’Église de Rome, mais encore beaucoup d’autres Églises voisines et quelques autres éloignées, où la même coutume s’observe et demeure. Prétendrons-nous que c’est un mal de ne pas jeûner le samedi ? nous accuserons témérairement un très-grand nombre d’Églises d’Orient et la plus grande partie du monde chrétien. N’aimerez-vous pas que nous établissions un certain milieu qu’il est bon de garder, non dans un esprit de dissimulation, mais dans un esprit de condescendance et de déférence respectueuse ? et cependant il n’y a rien là-dessus de prescrit aux chrétiens dans les livres canoniques. À plus forte raison je n’ose appeler mauvais ce que la foi chrétienne elle-même m’oblige de regarder comme étant de prescription divine ; quoique cette même foi m’apprenne aussi que ce n’est point en cela que je suis justifié, mais par la grâce de Dieu, au nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur.

15. Je dis donc que la circoncision et les autres pratiques de ce genre furent commandées par la volonté divine au peuple juif dans le Testament appelé l’Ancien, comme une prophétique figure de ce qui devait s’accomplir par le Christ ; ces choses, depuis leur accomplissement, ne sont plus, pour les chrétiens, que des témoignages qui doivent servir à comprendre les anciennes prophéties ; il n’est plus nécessaire de les suivre, comme si on attendait encore la révélation de la foi dont ces ombres annonçaient la venue. Mais, quoiqu’il ne fallût point les imposer aux gentils, il ne convenait pas pourtant de les ôter à la coutume des juifs, comme des choses détestables et condamnables. Elles devaient tomber lentement et peu à peu avec les progrès de la prédication, de la grâce du Christ, par laquelle, seule, les croyants sauraient qu’ils pourraient être justifiés et sauvés, et non point par les ombres prophétiques de ce qui était présentement accompli : tout ce passé religieux finissait à la vocation des juifs, devant le Christ vivant, et à l’arrivée des temps apostoliques. Il lui suffisait, pour son honneur, de n’être pas repoussé comme quelque chose de détestable et de pareil à l’idolâtrie ; mais ces cérémonies ne devaient pas aller au-delà, de peur qu’on ne les crût nécessaires et qu’on ne fit dépendre d’elles le salut, comme l’ont pensé les hérétiques qui, voulant être à la fois juifs et chrétiens, n’ont pu être ni chrétiens ni juifs. Vous avez daigné m’avertir avec beaucoup de bienveillance de prendre garde à leur erreur, mais je ne l’ai jamais partagée. La crainte avait fait tomber Pierre dans ce sentiment, non par adhésion, mais par faux semblant, et Paul écrivit très-véritablement qu’il l’avait vu ne pas marcher droit selon l’Évangile, et lui reprocha très-véritablement de forcer les gentils à judaïser. Lui, Paul, n’y contraignait personne ; il observait sincèrement les anciennes cérémonies quand il le fallait, pour montrer qu’elles n’étaient pas condamnables ; mais il ne cessait de prêcher que ce n’était point par elles, mais par la grâce de la foi révélée, que les fidèles pouvaient se sauver, afin de n’y pousser personne comme à des pratiques nécessaires. Tout en croyant que l’apôtre Paul a fait ceci en complète sincérité, je me garderais aujourd’hui d’imposer ni de permettre à un juif devenu chrétien, rien de pareil ; de même que vous, qui pensez que Paul a usé de dissimulation, vous n’imposeriez ni ne permettriez des dissimulations semblables.

16. Voulez-vous que je dise aussi que le fond de la question, ou plutôt de votre sentiment, c’est qu’après l’Évangile du Christ, les juifs devenus chrétiens font bien d’offrir des sacrifices comme Paul, de circoncire leurs, enfants comme Paul a circoncis Timothée, d’observer le sabbat comme l’observent tous les juifs, pourvu qu’ils ne fassent tout cela que par dissimulation ? S’il en est ainsi, nous ne tomberons plus dans l’hérésie d’Ebion ou de ceux qu’on nomme communément nazaréens, ni dans quelqu’autre de ces anciennes erreurs ; nous tomberons dans je ne sais quelle hérésie nouvelle, d’autant plus pernicieuse qu’elle ne serait pas l’ouvrage de l’erreur, mais d’un dessein arrêté et d’une volonté menteuse. Si, pour vous défendre, vous répondez que les apôtres dissimulèrent alors, avec raison, de peur de scandaliser la faiblesse d’un grand nombre de juifs, devenus chrétiens, qui ne comprenaient pas encore qu’il fallait rejeter ces cérémonies, et que des dissimulations de ce genre seraient insensées, aujourd’hui que la doctrine de la grâce chrétienne est établie au milieu de tant de nations, au milieu de toutes les Églises du Christ, par la lecture de la loi même et des prophètes, où l’on apprend de quelle manière il faut comprendre ces prescriptions, sans qu’il