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non pas qu’on empêcherait les juifs d’observer les cérémonies judaïques, quoique la loi chrétienne ne les y obligeât plus eux-mêmes. Si donc ce fut après ce décret des apôtres que Pierre dissimula à Antioche pour forcer les gentils à judaïser, ce à quoi il n’était pas contraint lui-même, quoique pour recommander les divins oracles confiés aux juifs il n’en fût pas empêché ; faut-il s’étonner que Paul l’ait pressé de déclarer ouvertement ce qu’il se souvenait d’avoir prescrit avec les autres apôtres à Jérusalem ?

11. Si, au contraire, ce que je croirais davantage, Pierre a fait cela avant le concile de Jérusalem, il n’est pas étonnant que Paul ait voulu qu’il ne cachât pas timidement, mais montrât en toute liberté ce qu’il savait être aussi son sentiment vrai, soit qu’il lui eût communiqué son Évangile, soit qu’il eût appris la divine révélation qui lui avait été faite sur ce point, dans la vocation du centurion Corneille ; ou bien parce qu’il l’avait vu manger avec les gentils, avant l’arrivée à Antioche de ceux qu’il redoutait ; car nous ne nions pas que Pierre fût alors du même avis que Paul. Celui-ci ne lui enseignait donc pas la vérité sur ce sujet, mais il blâmait la dissimulation par laquelle il contraignait les gentils à judaïser, uniquement parce que ces feintes semblaient autoriser ceux qui soutenaient que les croyants ne pouvaient se sauver sans la circoncision et les autres pratiques, ombres de l’avenir.

12. Paul fit donc circoncire Timothée, de peur que ceux des gentils qui croyaient en Jésus-Christ ne parussent aux yeux des juifs, et surtout des parents maternels de Timothée, détester la circoncision comme on déteste une idolâtrie : tandis que l’une fut l’œuvre de Dieu et l’autre du démon. Il ne fit pas circoncire Tite, de peur d’avoir l’air d’autoriser ceux qui disaient que, sans cette circoncision, on ne pouvait pas se sauver, et qui, pour tromper les gentils, publiaient cette opinion comme étant celle de Paul. Il le dit assez lui-même dans ces paroles : « Tite qui était avec moi, et qui était grec, ne fut pas non plus forcé à la circoncision ; et quoique de faux frères se fussent introduits furtivement parmi nous pour épier la liberté que nous avons en Jésus-Christ et nous réduire en servitude, nous ne leur cédâmes pas un seul instant, afin que la vérité de l’Évangile demeurât parmi vous[1]. » On le voit ici, l’Apôtre comprenait ce que cherchaient ces faux frères : et pour ce motif il ne lit pas ce qu’il avait fait à l’égard de Timothée, et ce que lui permettait de faire cette liberté avec laquelle il avait montré qu’on ne devait pas rechercher ces cérémonies comme nécessaires, ni les condamner comme sacrilèges.

13. Mais, dites-vous, il faut prendre garde d’admettre dans cette discussion, comme les philosophes, de ces actes humains qui, tenant le milieu entre le bien et le péché, ne sont ni l’un ni l’autre, et de nous laisser embarrasser par cette objection que la pratique des cérémonies légales ne saurait être indifférente, mais qu’elle est ou bonne ou mauvaise : si elle est bonne, nous devons nous y soumettre, et si elle est mauvaise, nous devons croire que la conduite des apôtres en cela n’a pas été sincère, mais simulée. – Pour moi, je ne crains pas tant pour les apôtres la comparaison avec les philosophes, quand ceux-ci disent quelque chose de vrai, que je ne craindrais pour eux la comparaison avec les avocats, quand ils mentent en plaidant. S’il a pu paraître convenable, dans l’Exposition même de l’Épître aux Galates[2], de s’appuyer sur ce dernier rapprochement pour autoriser la dissimulation de Pierre et de Paul, pourquoi donc appréhenderai-je auprès de vous le nom des philosophes, qui sont vains, non pas parce que tout ce qu’ils disent est faux, mais parce qu’ils se contiennent en beaucoup de choses fausses, et que, là où ils trouvent à dire des choses vraies, ils sont étrangers à la grâce du Christ, qui est la vérité elle-même.

14. Mais pourquoi ne dirai-je pas que les cérémonies de l’ancienne loi ne sont pas bonnes ; elles ne justifient point, car elles n’apparaissent que comme les figures de la grâce qui justifie ; et que cependant elles ne sont pas mauvaises, puisque Dieu lui-même les prescrivit comme convenables à un temps et à des personnes ? Je m’appuie aussi sur ce sentiment du prophète, par lequel Dieu déclare qu’il a donné à son peuple des règles qui ne sont pas bonnes[3]. C’est peut-être pour cela qu’il ne les appelle pas des règles mauvaises, mais seulement des règles qui ne sont pas bonnes, c’est-à-dire qui ne sont pas telles que les hommes puissent devenir bons par elles, ou ne puissent pas devenir bons sans elles. Je voudrais que votre bienveillante

  1. Gal. II, 3-5.
  2. Par saint Jérôme.
  3. Ezéchiel, XX. 25.