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traducteur est inexact, ou bien encore que je n’ai pas compris. Pour ce que je lis dans les autres écrivains, quelle que soit l’éminence de leur sainteté et de leur science, je ne le crois pas vrai par la seule raison qu’ils l’ont pensé, mais parce qu’ils ont pu me persuader qu’ils ne s’écartaient pas de la vérité, soit d’après le témoignage des auteurs canoniques, soit d’après des raisons probables. Je ne crois pas, mon frère, que vous soyez ici d’un autre sentiment que le mien, et certainement vous ne voulez pas qu’on lise vos livres comme ceux des prophètes ou des apôtres dont il serait criminel de mettre en doute la parfaite vérité. Cela est bien loin de votre pieuse humilité et de la juste idée que vous avez de vous-même ; car si vous n’étiez pas humble, vous ne diriez pas : « Plût à Dieu que nous méritassions vos embrassements et qu’en de mutuels entretiens nous pussions apprendre quelque chose l’un de l’autre ! »

4. Si, en considérant votre vie et vos mœurs, je ne puis penser que vous ayez dit ceci faussement ni par feinte, combien plus il est juste que je croie à la sincérité de l’apôtre Paul dans ce passage sur Pierre et Barnabé : « Voyant qu’ils ne marchaient pas droit selon la vérité de l’Évangile, je dis à Pierre devant tous : Si vous qui êtes juif, vous vivez comme les gentils et non comme les juifs, pourquoi forcez-vous les gentils à judaïser[1] ? » Comment serai-je sûr qu’un homme ne me trompe ni dans ses écrits ni dans ses paroles, si l’Apôtre trompait ses fils qu’il enfantait de nouveau, jusqu’à ce que le Christ, c’est-à-dire la vérité, fût formé en eux[2] ? Il leur avait dit : « Je prends Dieu à témoin que je ne vous mens point en tout ce que je vous écris[3], » et cependant il n’aurait pas écrit en toute vérité, et il aurait usé avec ses fils, de je ne sais quelle dissimulation de condescendance en leur disant qu’il avait vu Pierre et Barnabé ne pas marcher selon la vérité de l’Évangile, qu’il avait résisté à Pierre en face, uniquement parce que Pierre forçait les gentils à judaïser !

5. Mais ne vaut-il pas mieux croire que l’apôtre Paul n’a pas écrit en toute vérité, que de croire que l’apôtre Pierre a fait quelque chose de mal ? S’il en est ainsi, disons, ce qu’à Dieu ne plaise, qu’il vaut mieux croire que l’Évangile a menti, que de croire que Pierre ait renié le Christ[4], qu’il vaut mieux accuser de mensonge le livre des Rois, que de déclarer David, un si grand prophète, si excellemment choisi par le Seigneur Dieu, coupable d’avoir désiré et enlevé la femme d’un autre, et d’avoir commis, au profit de son adultère, un horrible homicide sur la personne du mari[5]. Quant à moi, tranquille sur la vérité certaine des saintes Écritures, placées à un si haut point de céleste autorité, je les lirai avec confiance ; j’ai appris à croire à leur véracité lorsqu’elles approuvent, reprennent ou condamnent ; et je ne crains pas de laisser le blâme monter jusqu’aux personnes d’ailleurs les plus dignes de louanges, plutôt que de tenir pour suspectes toutes les divines paroles elles-mêmes.

6. Les manichéens, ne pouvant détourner le sens de plusieurs passages de l’Écriture qui condamnent très-clairement leur coupable erreur, prétendent que ces passages sont falsifiés, sans attribuer toutefois cette fausseté aux apôtres qui ont écrit, mais à je ne sais quels corrupteurs des livres saints. Ils n’ont cependant jamais pu le prouver ni par le nombre ou l’ancienneté des exemplaires, ni par l’autorité de la langue sur laquelle a été faite la version latine ; aussi ils demeurent vaincus sous le coup de la vérité connue de tout le monde, et se retirent couverts de confusion. Votre sainte prudence ne comprend-elle pas quelle triomphante occasion s’offrirait à leur malice, si nous disions, non pas que les livres des apôtres ont été falsifiés par d’autres, mais que les apôtres eux-mêmes ont écrit des faussetés ?

7. Il n’est pas croyable, dites-vous, que Paul ait reproché à Pierre ce que lui-même avait fait. Je ne m’occupe pas maintenant de ce que Paul a fait, mais de ce qu’il a écrit ; c’est là surtout ce qui importe à la question, afin que la vérité des divines Écritures, recommandées à la mémoire pour édifier notre foi, non point par des hommes ordinaires, mais par les apôtres eux-mêmes, et revêtue, à cause de cela, de l’autorité canonique, demeure de tout point complète et hors de doute. Car si Pierre a fait ce qu’il a dû faire, Paul a menti en disant qu’il avait vu Pierre ne pas marcher droit selon la vérité de l’Évangile. Quiconque fait ce qu’il doit, fait bien. Et ce n’est pas dire vrai que de dire de quelqu’un qu’il fait mal, quand on sait qu’il a fait ce qu’il a dû. Mais si Paul a écrit la vérité, il demeure vrai que Pierre ne marchait pas droit selon l’Évangile ; il faisait donc ce

  1. Gal. II, 14.
  2. Ibid. IV, 19.
  3. Ibid. I, 20.
  4. Matth. XXVI, 75.
  5. II Rois, XI, 4, 17.