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leur gré par un juste secret jugement ! J’exhorte donc votre sagesse, bien-aimés seigneurs et très-honorables frères, à opposer aux calomnies des hommes, aux vains discours et aux soupçons téméraires la méditation chrétienne de l’Écriture de Dieu, qui a prophétisé toutes ces choses et nous a avertis de nous tenir fermes contre elles.

2. Aussi je dirai brièvement à votre charité que le prêtre Boniface n’a été convaincu d’aucun crime devant moi, que je n’ai jamais rien cru et ne crois rien de pareil sur son compte. Comment ordonnerais-je d’effacer son nom du nombre des prêtres, lorsque j’entends cette effrayante parole du Seigneur dans l’Évangile : « Vous serez jugés comme vous aurez jugé les autres[1] ? » L’affaire entre lui et Spès a été remise au jugement de Dieu, d’après une convention entre eux qu’on pourra vous communiquer si vous voulez[2] ; qui suis-je moi-même pour oser prévenir la sentence de Dieu en effaçant ou en supprimant le nom de ce prêtre ? évêque, je n’ai pas dû élever contre lui un soupçon téméraire ; homme, je n’ai pas pu juger clairement sur les choses secrètes des hommes. Dans les causes séculières, lorsqu’on s’en réfère à un pouvoir plus haut, tout reste dans le même état ; on attend la sentence dont il n’est pas permis d’appeler, de peur de faire injure au juge supérieur si on changeait quelque chose pendant que l’affaire est pendante devant lui : or, quelle différence entre la divine puissance et la puissance humaine, quelque grande qu’elle puisse être ! Que la miséricorde du Seigneur notre Dieu ne vous abandonne jamais, bien-aimés seigneurs et honorables frères.

LETTRE LXXVIII.

(Année 401.)

Les scandales dans l’Église.

AUGUSTIN AUX BIEN-AIMES FRÈRES, AU CLERGÉ, AUX ANCIENS, A TOUT LE PEUPLE DE L’ÉGLISE D’HIPPONE, QUE JE SERS DANS LA CHARITÉ DU CHRIST, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

1. Plût à Dieu que fortement attentifs à l’Écriture de Dieu, vous n’eussiez pas besoin du secours de notre parole au milieu des scandales, et que vous eussiez pour consolateur Celui-là même qui nous console : il a non-seulement prédit les biens qui attendent ses fidèles et ses saints, mais encore les maux dont ce monde devait être plein ; il a pris-soin de nous les faire écrire à l’avance, pour que notre espérance des biens futurs soit plus vive que notre sentiment des maux qui précèdent la fin des siècles. « Tout ce qui est écrit, dit l’Apôtre, a été écrit pour notre instruction, afin que nous espérions en Dieu par la patience et la consolation des Écritures[3]. » Qu’était-il besoin que le Seigneur Jésus, non-seulement nous dît qu’à la fin des temps les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de son Père[4], mais encore qu’il s’écriât : Malheur au monde à cause des scandales[5] ! sinon pour que nous ne nous flattions pas de pouvoir atteindre à la félicité éternelle sans avoir subi avec courage l’épreuve des maux du temps ? Qu’était-il besoin qu’il dît que la charité de plusieurs se refroidirait parce que l’iniquité aurait abondé, sinon pour que ceux dont il a parlé ensuite, et qui seront sauvés après avoir persévéré jusqu’à la fin[6] ne se troublassent pas, ne s’effrayassent pas à la vue de cette abondance d’iniquité par laquelle la charité serait refroidie, et ne tombassent pas en triste défaillance comme sous des coups imprévus et inopinés ; mais plutôt afin que, voyant arriver ce qui a été annoncé pour le cours des temps, ils persévérassent patiemment jusqu’à la fin et méritassent de régner dans la vie qui ne doit pas finir.

2. Je ne vous dis donc pas, mes très-chers, de ne pas vous affliger de ce scandale qui émeut plusieurs d’entre vous au sujet du prêtre Boniface ; ceux qui ne déplorent pas ces choses n’ont pas en eux la charité du Christ ; mais la malignité du démon abonde dans le cœur de ceux qui s’en réjouissent. Ce n’est pas qu’il ait apparu dans ce prêtre quelque chose qui soit jugé digne de condamnation ; mais c’est que deux de notre maison sont placés dans une situation telle qu’on regarde l’un d’eux comme certainement perdu, et que la réputation de l’autre passe pour mauvaise ou douteuse, quand même sa conscience n’aurait pas de souillure. Déplorez ces choses, car elles sont déplorables ; que cette douleur pourtant

  1. Matth. VII, 2
  2. Un moine de la communauté de saint Augustin, appelé Spès, et un prêtre d’Hippone, appelé Boniface, s’étant mutuellement accusés de désordres, notre évêque les envoya au tombeau de saint Félix, à Nole, dans l’espoir qu’un miracle ferait connaître lequel des deux était coupable.
  3. Rom. XV, 4
  4. Matth. XIII, 43
  5. Ibid. XVIII, 7
  6. Ibid. XXIV, 12, 13.