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personne n’osera plus parler après les anciens, et le sujet qui aura été une fois traité, ne pourra plus l’être une seconde fois. Votre bienveillance ne saurait ici refuser aux autres le pardon indulgent que vous vous accordez à vous-même. Pour moi, je n’ai pas songé à abolir les anciennes versions en les traduisant du grec et du latin à l’usage des gens qui ne comprennent que ma langue ; j’ai plutôt voulu rétablir les passages omis ou altérés par les juifs, pour que nos Latins connaissent ce que renferme la vérité de l’hébreu. S’il ne plaît pas à quelqu’un de me lire, personne ne l’y force ; qu’il boive avec délices le vin vieux, et qu’il méprise mon vin nouveau, c’est-à-dire mes travaux pour l’interprétation des versions anciennes et pour éclaircir ce qui est obscur. En ce qui touche la manière à suivre pour l’explication des saintes Écritures, c’est une question que j’ai traitée dans mon livre sur la meilleure manière de traduire et dans toutes les petites préfaces placées en tête de ma version des divins livres : je crois devoir y renvoyer le sage lecteur. Et si, comme vous le dites, vous m’acceptez dans la correction du Nouveau Testament, parce que beaucoup de gens sachant le grec peuvent apprécier mon travail, vous deviez croire à la même exactitude dans ma version de l’Ancien Testament, être sûr que je n’y ai pas mis du mien, et que j’ai traduit le texte divin comme je l’ai trouvé dans l’hébreu. Si vous en doutez, interrogez les juifs.
21. Mais vous direz peut-être : « Que faire si les juifs ne veulent pas répondre ou s’ils veulent mentir ? » Est-ce que les juifs, tous tant qu’ils sont, garderont le silence sur ma traduction ? Est-ce qu’il ne se rencontrera personne qui sache l’hébreu ? Est-ce que tout le monde imitera ces juifs dont vous parlez et qui, dans un petit coin de l’Afrique, se sont entendus pour m’outrager ? car voici ce que vous me contez dans une de vos lettres : « Un de nos collègues avait établi la lecture de votre version dans l’Église dont il est le chef ; on lisait le prophète Jonas, et tout à coup on reconnut dans votre traduction quelque chose de très-différent du texte accoutumé qui était dans le cœur et la mémoire de tous, et qui se chantait depuis tant de générations. Le tumulte fut si grand dans le peuple, surtout parmi les Grecs qui criaient à la falsification, que l’évêque (c’était dans la ville d’Oëa), se trouva forcé d’interroger le témoignage des juifs du lieu. Ceux-ci, soit par malice, soit par ignorance, répondirent que le texte des Grecs et des Latins, en cet endroit, était conforme au texte hébreu. Quoi de plus ? l’évêque se vit contraint de corriger le passage comme si c’eût été une faute, ne voulant pas, après ce grand péril, rester sans peuple. Il nous a paru, d’après cela, que peut-être vous avez pu vous tromper quelquefois[1]. »
22. Vous dites que j’ai mal traduit quelque chose dans le prophète Jonas, et que, la différence d’un seul mot ayant excité un mouvement dans le peuple, l’évêque faillit perdre son troupeau. Mais vous me dérobez ce que vous m’accusez d’avoir mal traduit, m’enlevant ainsi le moyen de me défendre, et de peur que ma réponse ne fasse fondre ce que vous dites ; il arrive peut-être ici, comme il y a plusieurs années, quand la citrouille vint se mettre au milieu, et que le Cornélius et l’Asinius Pollion de ce temps soutint que j’avais traduit le mot de citrouille par celui de lierre. J’y ai répondu amplement dans mon commentaire de Jonas. Il me suffit de dire en ce moment qu’à l’endroit où les Septante ont mis le mot de citrouille, et Aquila, avec les autres interprètes, le mot χισσον qui signifie lierre, on trouve dans l’hébreu ciceion. les Syriens disent ordinairement ciceia. Or, le ciceia est une sorte d’arbrisseau dont les feuilles ont la largeur de celles de la vigne ; à peine planté, il s’élève à la hauteur d’un arbuste et se soutient sur sa tige, sans avoir besoin d’échalas, comme les citrouilles et les lierres. Si donc, traduisant mot à mot, j’avais écrit ciceion, personne ne m’aurait compris ; si j’avais dit : citrouille, j’aurais dit ce qui n’est pas dans l’hébreu : j’ai mis lierre pour faire comme les autres interprètes. Et si vos juifs, selon votre récit, par malice ou par ignorance, prétendent que le texte hébreu est ici conforme aux versions grecques et latines, il est manifeste qu’ils ne savent pas l’hébreu, ou qu’ils se sont donné le plaisir de mentir pour se moquer de ceux qui aiment les citrouilles.
Je vous demande, en terminant cette lettre, de ne plus forcer au combat un vieux soldat, un vieillard qui se repose, et de ne pas vouloir qu’il brave de nouveaux dangers. Vous qui êtes jeune et constitué en dignité épiscopale, enseignez les peuples, enrichissez les greniers de Rome de nouveaux fruits de l’Afrique. Il me suffit, à moi, de parler bas, en un coin de monastère, avec quelque pauvre malheureux qui m’écoute ou me lit.

LETTRE LXXVI.

(Fin de l’année 388.)

Saint Augustin fait parler l’Église catholique pour mieux toucher les gens du parti de Donat.

1. Voici, ô donatistes ! ce que vous dit l’Église catholique : « Enfants des hommes, jusques à quand aurez-vous le cœur appesanti ? pourquoi aimez-vous la vanité et cherchez-vous le mensonge[2] ? » Pourquoi vous êtes-vous séparés de l’unité du monde entier par un schisme sacrilège ? Vous écoutez les faussetés débitées par des hommes qui mentent ou qui se trompent au sujet des divins livres qu’on prétend avoir été livrés aux païens ; vous les écoutez pour rester dans une séparation hérétique ; et vous n’êtes pas attentifs à ce que vous disent ces mêmes livres, pour que

  1. Ci-dessus, lettre LXXI, 5.
  2. Ps. IV, 3