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empêcher qu’un scandale n’éclatât parmi les fidèles d’entre les juifs, qui pensaient qu’il fallait garder la loi, tout en croyant dans le Seigneur notre Sauveur. Et, dans ce temps, Pierre étant allé à Antioche (quoique ceci ne se trouve pas dans les Actes des apôtres, nous devons en croire le témoignage de Paul), « Paul lui résista en face, parce qu’il était répréhensible. Avant que quelques-uns vinssent d’auprès de Jacques, Pierre mangeait avec les gentils ; à leur arrivée, il se retirait, et se séparait d’eux, craignant les reproches des circoncis. Et les autres juifs et Barnabé furent portés à user de la même feinte. Mais quand je vis, dit Paul, qu’ils ne marchaient pas droit, selon la vérité de l’Évangile, je dis à Pierre, devant tout le monde : « Si vous, qui êtes juif, vous vivez comme les gentils, et non pas comme les juifs, comment forcez-vous les gentils à judaïser »[1] ? » et le reste. Ainsi, il n’est douteux pour personne que l’apôtre Pierre n’ait été le premier auteur de l’ordonnance à laquelle on l’accuse ici d’avoir manqué. La cause de la prévarication, c’est la peur des juifs. Car l’Écriture dit que Pierre mangeait d’abord avec les gentils : mais après que quelques-uns furent venus d’auprès de Jacques, il s’en retirait et s’en séparait, craignant les reproches des circoncis. Il appréhendait que les juifs, dont il était l’apôtre, ne s’éloignassent de la foi du Christ à l’occasion des gentils ; imitateur du bon Pasteur, il tremblait de perdre le troupeau confié à ses soins.
9. Après avoir montré que Pierre avait bien pensé sur l’abolition de la loi mosaïque, mais que la crainte l’avait conduit à feindre de l’observer, voyons si Paul, qui a repris Pierre, n’a pas fait quelque chose de pareil. Nous lisons dans le même livre : « Paul parcourait la Syrie et la Cilicie, affermissant les Églises ; il arriva à Derbe et à Lystra ; et voilà qu’un disciple était là, nommé Timothée, fils d’une veuve juive qui avait embrassé la foi, et d’un père gentil. Les frères qui étaient à Lystra et à Iconium lui rendirent témoignage. Paul voulut que ce disciple partit avec lui ; et, l’ayant pris, il le circoncit, à cause des juifs qui se trouvaient là[2]. » O bienheureux apôtre Paul, qui avez blâmé dans Pierre la dissimulation qui l’a fait se séparer des gentils, à cause de la crainte des juifs venus d’auprès de Jacques, pourquoi avez-vous, contre votre sentiment, obligé à la circoncision Timothée, fils d’un homme gentil, et gentil lui-même (car il n’était pas juif, puisqu’il n’était pas circoncis) ? Vous me répondez à cause des Juifs qui se trouvaient dans ces lieux-là. Vous, qui vous pardonnez à vous-même la circoncision d’un disciple venu du milieu des gentils, pardonnez donc à Pierre, votre ancien, d’avoir fait quelque chose par la crainte des Juifs devenus chrétiens. Il est aussi écrit : « Paul, après avoir passé là plusieurs jours, dit adieu aux frères, et s’embarqua pour la Syrie avec Priscilla et Aquila ; et il se rasa la tête à Cenchrée, car il avait fait un vœu[3]. » Admettons que là il ait été forcé par la crainte des Juifs de faire ce qu’il ne voulait pas, pourquoi laissa-t-il, ici, croître sa chevelure dans un vœu, et pourquoi se la fit-il couper à Cenchrée, selon la loi imposée aux Nazaréens qui se consacraient à Dieu[4] ?
10. Mais ceci est peu de chose en comparaison de ce qui va suivre : « Quand nous fûmes arrivés à Jérusalem, dit saint Luc, l’auteur de l’histoire sacrée, les frères nous reçurent avec joie ; » le jour suivant, Jacques et tous les anciens qui étaient avec lui, ayant approuvé l’Évangile de Paul, lui dirent : « Vous voyez, frère, combien de milliers d’hommes, en Judée, ont cru en Jésus-Christ, et ils sont tous zélés pour la loi. Or, ils ont ouï dire de vous que vous enseignez à tous les Juifs qui sont parmi les gentils, de renoncer à Moïse, en disant qu’ils ne doivent pas circoncire leurs enfants, ni vivre selon la coutume des Juifs. Que faire donc ? Il faut que cette multitude s’assemble, car ils ont entendu dire que vous êtes arrivé. Faites ce que nous allons vous dire : nous avons ici quatre hommes qui ont fait un vœu ; prenez-les avec vous, et purifiez-vous avec eux ; faites tous les frais pour qu’ils se rasent la tête ; et tous sauront que ce qu’ils ont ouï dire de vous est faux, mais que vous continuez à garder la loi. Paul ayant donc pris ces hommes et s’étant, le lendemain, purifié avec eux, entra au temple, annonçant combien de jours devait durer leur purification et quand l’offrande serait présentée pour chacun d’eux[5]. »
O Paul ! je vous le demande encore ; pourquoi avez-vous rasé votre tête ? pourquoi avez-vous marché nu-pieds, selon les cérémonies des Juifs ? pourquoi avez-vous offert des sacrifices ? et pourquoi des victimes ont-elles été immolées pour vous, selon la loi ? Sans doute, vous me répondrez : Pour ne pas scandaliser les Juifs qui avaient cru. Vous avez donc fait semblant d’être Juif pour gagner les Juifs ; et les autres prêtres vous ont appris cette même dissimulation, mais vous n’avez pu échapper. Vous alliez périr au milieu du mouvement excité contre vous, lorsque vous fûtes emporté par un tribun et envoyé par lui à Césarée, sous bonne escorte ; il vous sauva des Juifs, qui vous auraient tué comme un fourbe et un destructeur de la loi. De là, allant à Rome, vous prêchâtes le Christ aux Juifs et aux Gentils, dans une maison que vous aviez louée, et vous scellâtes votre doctrine sous le glaive de Néron[6].
11. Nous avons vu qu’à cause de la crainte des Juifs Pierre et Paul feignirent également d’observer les préceptes de la loi. De quel front et par quelle audace Paul reprendra dans un autre ce qu’il a fait lui-même ? J’ai montré ou plutôt d’autres ont montré avant moi quel avait pu être son motif ; tous ceux-là ne défendaient pas le mensonge officieux, comme vous le dites, mais enseignaient une sage conduite ; ils voulaient mettre en lumière la prudence des apôtres et réprimer l’insolence du blasphémateur Porphyre qui dit que Pierre et Paul s’étaient battus comme des enfants, que Paul avait été jaloux des vertus de Pierre, qu’il s’était vanté

  1. Galat. II, 1, 2, 11-14.
  2. Act. XV, 41 ; XVI, 1-3.
  3. Ibid. XVIII, 18.
  4. Nomb., VI, I8.
  5. Act., XXI, 17-26.
  6. Ibid. XXIII, 23 ; XXVIII, 14, 30.