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sorte au fond de leurs cœurs. De plus, une page, quelle qu’elle soit et quelque bonnes choses qu’elle renferme, n’en profite pas elle-même pendant qu’elle se remplit au profit des autres ; mais cette lettre vivante, représentée par nos frères, nous la lisions dans leurs entretiens : elle nous apparaissait d’autant plus sainte, qu’elle s’était plus abondamment inspirée de vous-mêmes. Aussi nous l’avons transcrite en nos âmes, par notre soin attentif à écouter tout ce qui vous touche, et dans le désir d’imiter la même sainteté.

3. Nous ne supportons pas sans chagrin qu’ils partent si tôt d’ici, quoique ce soit pour s’en retourner vers vous ; car voyez de quels sentiments nous sommes agités ! nous voulions d’autant plus les laisser partir qu’ils souhaitaient plus ardemment de vous obéir ; mais leur vif désir de vous joindre ne faisait que vous rapprocher de nous : car ils montraient ainsi combien vos entrailles leur sont chères voilà pourquoi nous voulions d’autant moins les laisser partir qu’il y avait plus de justice dans leurs instances pour s’en aller. O chose impossible à supporter s’il n’était pas vrai que cette séparation ne dût point nous séparer, « si nous n’étions pas membres d’un même corps, si nous n’avions pas un même chef, si la même grâce ne se répandait pas sur nous, si nous ne vivions pas du même pain, si nous ne marchions pas dans la même voie, si nous n’habitions pas la même maison ! » Pourquoi ne nous servirions-nous pas des mêmes paroles que vous?. Vous les reconnaissez, je pense, comme étant tirées de votre lettre[1]. Mais pourquoi ces paroles seraient-elles plutôt vôtres que miennes, puisque, du moment qu’elles sont vraies, elles nous viennent de la communication du même chef ? Et si elles ont quelque chose qui vous ait été donné en propre, je les en aime davantage ; c’est au point qu’elles se sont emparées du chemin de mon cœur et n’ont rien laissé passer de mon cœur à ma langue jusqu’à ce qu’elles aient pris dans ma pensée le premier rang qui appartient à ce qui vient de vous. Frères saints et aimés de Dieu, membres du même corps que nous, qui doutera qu’un même esprit soit notre vie, si ce n’est celui qui ne sait point par quelle affection nous sommes liés les uns aux autres ?

4. Je voudrais néanmoins savoir si vous supportez portez plus patiemment et plus facilement que nous cette absence corporelle. S’il en est ainsi, je n’aime pas, je l’avoue, tant de force, à mains que nous ne soyons pas dignes d’être désirés autant que nous vous désirons. Pour moi, si j’avais le courage de supporter votre absence, ce courage me déplairait, car je ne poursuivrais plus qu’avec nonchalance les moyens de vous voir ; or, quoi de plus absurde qu’une force qui se change en indolence ? Mais il faut que votre charité sache par quels soins ecclésiastiques je suis retenu ici. Le très-saint père Valère qui vous salue avec nous autant qu’il vous désire, comme vous l’apprendrez par nos frères, ne veut pas me souffrir pour prêtre sans ajouter à ce fardeau celui d’être son coadjuteur. Sa grande charité et l’extrême désir du peuple ont été les marques auxquelles j’ai reconnu la volonté du Seigneur ; de précédents exemples de coadjutorerie ne m’ont pas permis d’opposer un refus. Quoique le joug du Christ soit doux par lui-même et son fardeau léger[2], pourtant je me sens si neuf et si faible, que cette chaîne me blesse et ce poids m’accable ; mais il serait plus aisé à porter si j’avais l’ineffable consolation de vous voir quelque temps, vous qu’on dit libres de soins de ce genre. C’est pourquoi je vous prie, je vous demande et demande encore de daigner venir en Afrique, qui souffre plus de la soif d’hommes tels que vous que de la sécheresse.

5. Dieu sait que, si nous souhaitons vous voir apparaître dans ces contrées, ce n’est pas seulement pour nous ni pour ceux qui ont appris de nous ou de la renommée la grandeur de vos résolutions chrétiennes ; mais c’est pour les autres qui n’en ont pas entendu parler ou bien ne croient pas ce qu’on leur en a dit, et qui cependant s’attacheraient avec foi et amour aux saintes merveilles dont ils ne pourraient plus douter. Vous faites bien et miséricordieusement ce que vous faites, mais que la lumière de vos œuvres luise devant les hommes de nos contrées, afin qu’ils les voient et qu’ils glorifient votre Père qui est aux cieux[3] . Des pêcheurs qui, à la voix du Seigneur, avaient quitté leurs barques et leurs filets, se réjouirent en racontant qu’ils avaient renoncé à tout pour le suivre[4]. Et véritablement celui-là méprise tout, qui méprise ce qu’il a pu et ce qu’il a voulu avoir : mais ce qui était dans son désir avait pour témoins les yeux de Dieu ; ce qu’il possédait

  1. Ci-des. tom. I, Lettre XXX, n. 2.
  2. Mat. XI, 30
  3. Ibid. V, 16
  4. Ibid. XIX, 27