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chapitre quatorzième.

jeunesse. Quand il se rendit au concile général de Carthage tenu en 398, à ce concile dont les cent quatre canons sont un trésor pour la discipline de l’Église[1], l’éloquent évêque réunit plus d’une fois sans doute la multitude autour de lui dans les basiliques.

Les païens avaient assigné quatre siècles à la durée du christianisme. L’année 399 devait voir la croix tomber et les dieux reprendre tout leur empire. Or, dans cette année, l’exécution de la loi de l’empereur Honorius acheva de faire crouler les idoles. On a dit que saint Augustin et d’autres évêques cherchaient partout des idoles pour les briser ; cela n’est pas exact. Pas une ligne de notre grand évêque n’a autorisé le renversement d’une statue de divinité. S’il se rencontrait des idoles dans les domaines offerts à l’Église, il était tout simple qu’on les mît en pièces, puisqu’on se conformait par là aux intentions des donateurs ; mais nous ne trouvons dans l’histoire ecclésiastique aucun acte contre le polythéisme en dehors des lois ou des conventions : les dieux n’eurent jamais à souffrir de l’arbitraire épiscopal. Les pontifes de Jésus-Christ se contentaient de montrer aux peuples le néant de l’idolâtrie ; ils laissaient la vérité poursuivre librement ses triomphes. Les évêques d’Afrique applaudirent à l’ordonnance d’Honorius ; ils l’avaient même sollicitée ; et ceci prouve encore qu’on ne procédait point contre le polythéisme par caprices, par violences illégales, mais que, dans ces grandes révolutions morales, la loi ne cessait point d’être la seule règle.

Le grand défenseur de l’unité de l’Église ne laissait pas les donatistes s’endormir dans leur erreur. Dans une lettre à son parent Séverin, tombé dans le schisme, il lui disait[2] : « Le parti de Donat, qui ne s’étend pas hors de l’Afrique, outrage le reste de la terre. Cette branche, morte pour n’avoir pas voulu porter des fruits de paix et de charité, ne prend pas garde qu’elle est retranchée de la racine des Églises d’Orient, d’où l’Évangile a été porté en Afrique. »

« Mon père agit sans cesse, » disait le Verbe fait homme. Le génie, quand il s’inspire de (amour de la vérité, a quelque chose de cette activité divine, et ne se repose jamais. Tel fut surtout le génie d’Augustin. À chaque pas que nous faisons dans son histoire, nous rencontrons un nouvel ouvrage, et les difficultés de notre tâche s’accroissent de toute la prodigieuse fécondité de ce grand homme. L’année 400 fut une des plus riches années de la vie d’Augustin. Nous y trouvons dix ouvrages, parmi lesquels figurent les Confessions, et dont l’un, l’ouvrage contre Fauste, se compose de trente livres. Nous donnerons une idée de ces diverses productions.

Les quatre livres De l’Accord des évangélistes, particulièrement dirigés contre les païens, offrent aujourd’hui un aussi intéressant sujet d’étude qu’autrefois, car les modernes adversaires du christianisme ont renouvelé contre les Évangiles les mêmes arguments ; les mêmes chicanes que les païens du ive siècle. Augustin établit fortement l’autorité des évangélistes, qui sont au nombre de quatre, comme pour répondre aux quatre parties de l’univers. Il y a deux forces dans l’âme, l’une active, l’autre contemplative ; l’une qui va, l’autre qui est arrivée ; l’une qui s’efforce de purifier le cœur pour le rendre digne de voir Dieu, l’autre qui voit Dieu ; l’une qui travaille, l’autre qui se repose. Ces deux forces ou vertus sont figurées par les deux épouses de Jacob : Lia est laborieuse, Rachel contemple le principe des choses. Trois évangélistes s’attachent aux, actions et aux paroles du Sauveur dans son passage sur la terre ; le quatrième laisse les faits et les discours de Jésus-Christ pour s’occuper soigneusement de l’unité de la Trinité, du bonheur de l’éternelle vie, de la contemplation des choses sublimes. Les quatre animaux de l’Apocalypse représentent les quatre évangélistes. Saint Matthieu est le lion, saint Luc est le veau pour désigner la grande victime[3], saint Marc est l’homme, parce que c’est surtout dans ses récits qu’apparaît l’humanité du Messie ; saint Jean est l’aigle, parce qu’il s’élance par dessus les nuages de l’humaine faiblesse, et qu’il contemple avec des yeux fermes et pénétrants la lumière de l’immuable vérité. Tel est le quadrige sur lequel le Seigneur, dit Augustin, a parcouru l’univers.

Les païens demandaient pourquoi Jésus-Christ n’avait rien écrit lui-même, et pourquoi il avait laissé à d’autres le soin de marquer ce qu’il fallait croire. Augustin leur répond qu’ils auraient donc cru ce que le Sauveur aurait écrit lui-même. Il les prie de considérer combien de philosophes ont chargé leurs disciples de mettre leurs enseignements par écrit. Py-

  1. Baronius.
  2. Lettre 52, année 399.
  3. Propter maximam victimam sacerdotis.