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HISTOIRE DE SAINT AUGUSTIN.

raient l’héritage, dit Augustin[1]. Les maîtres et les esclaves étaient partagés sur leur maître commun qui avait pris lui-même la forme d’un esclave pour délivrer les uns et les autres[2]. Des jours bien autrement mauvais que les jours de la persécution païenne s’étaient levés sur l’Église d’Afrique. Les variations, qui sont l’éternel caractère de l’erreur, avaient établi quatre partis dans le schisme des donatistes : ces partis étaient les claudianistes, les priminianistes, les maximinianistes et les rogatistes. Ces derniers se montraient les plus modérés. On put compter en Afrique jusqu’à quatre cent dix évêques donatistes. Une sorte d’excommunication impie pesait sur les fidèles. L’évêque Faustin, le prédécesseur de Valère, avait défendu de cuire du pain à Hippone pour les catholiques : ils étaient en bien peut nombre dans cette ville. Qu’ils seront prodigieux les efforts d’Augustin pour guérir tant de maux et rétablir l’unité !

Proculéien remplissait à Hippone les fonctions d’évêque donatiste. Évode, dont le nom est connu de nos lecteurs, l’ayant rencontré dans une maison, et lui ayant entendu exprimer le désir de conférer avec Augustin, celui-ci s’empressa d’écrire à Proculéien pour se mettre à sa disposition. Augustin commence par dire à l’évêque donatiste que, malgré son égarement, il l’honore ; ce n’est pas seulement en considération de la dignité de la nature humaine, qui est commune à tous les deux, et qui les unit dans une même société, mais c’est à cause de certaines marques d’un esprit pacifique qui reluisent particulièrement dans Proculéien. Quant à l’amour qu’il lui porte, il va aussi loin que l’ordonne celui qui nous a aimés jusqu’à l’ignominie de la croix. Augustin est prêt à employer tout ce qu’il plaira à Dieu de lui donner de force et de lumière pour examiner les causes de division de l’Église à qui Jésus-Christ avait dit, en la quittant : Je vous donne ma paix, je vous laisse ma paix. Évode, dans sa discussion avec Proculéien, avait manqué de mesure, et l’évêque donatiste s’en était plaint ; le coadjuteur de Valère prie Proculéien de pardonner à la jeunesse d’Évode et à son ardent amour pour la foi. Ceux qui nous redressent peuvent n’être que des pécheurs ; mais quand ils nous avertissent et nous éclairent, ce lie sont plus eux qui parlent, c’est la vérité même, la vérité éternelle. Il ne faut pas que les torts d’Évode détournent Proculéien de son pacifique dessein. Pour que la conférence soit utile, on écrira tout ce qui sera dit. Si Proculéien l’aime mieux, on pourra se préparer à la conférence publique et décisive par lettres, ou de vive voix, et avec des livres sur la table ; dans le lieu qu’il choisira. Les lettres seront lues au peuple de part et d’autre. Augustin se porte fort de faire accepter au vieux Valère, en ce moment absent, tout ce qui aura été décidé.

Après une peinture de la division de l’Église, Augustin remarque qu’on a chaque jour recours aux évêques pour le jugement des affaires temporelles, et trouve déplorable que les évêques ne s’occupent pas de juger entre eux l’affaire de leur salut et du salut de leur troupeau. Chaque jour on s’incline, on s’abaisse profondément devant des évêques pour se mettre d’accord sur l’or ou l’argent, les bestiaux ou les propriétés, et les évêques ne s’accordent point eux-mêmes sur le divin chef qui s’est abaissé plus profondément encore, puisqu’il est descendu des hauteurs du ciel jusque sur l’opprobre de la croix !

Dans une lettre[3] écrite peu de temps après à Eusèbe, un ami de Proculéien s’afflige vivement d’un odieux scandale. Un jeune catholique, coupable d’avoir battu sa vieille mère, et de l’avoir cruellement maltraitée, même dans les saints jours où les lois étaient désarmées[4], avait été repris par son évêque. Ce mauvais fils, dans son dépit furieux, menaça sa mère de se jeter parmi les donatistes, de la tuer ensuite elle-même, et bientôt le voilà dans le sanctuaire des donatistes, vêtu de la robe blanche des néophytes, et recevant le baptême pour la seconde fois ! Augustin fit dresser acte de ce sacrilège dans les registres de l’Église d’Hippone. Ce jeune homme qui avait frappé ses deux mères, l’une selon la chair, l’autre selon la foi, ces donatistes qui avaient osé montrer comme un homme pur, comme un homme nouveau, le malheureux dont les blancs vêtements cachaient une pensée de parricide, inspiraient à Augustin une grande douleur. Il ne voulut pas garder le silence, il protesta. « Dieu me garde, s’écriait-il, d’être assez lâche pour ne pas parler, de peur de déplaire aux : donatistes, lorsqu’il me dit par son apôtre que le devoir de l’évêque est de réprimer ceux qui

  1. Lettre 33, à Proculéien.
  2. Ibid.
  3. Lettre 34.
  4. Au temps de Carême, on suspendait la poursuite et le supplice des criminels. ('Code de Gratien, livre III, titre 12, De feriis.)