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HISTOIRE DE SAINT AUGUSTIN.

deurs les plus magnifiques, nous sommes assez grossiers pour ne pas y trouver notre félicité !

De même qu’à la lumière du soleil on fait choix de divers objets pour y arrêter doucement ses regards, ou bien qu’avec des yeux perçants et forts on contemple le soleil même, ainsi, à la lumière de la vérité éternelle, on peut s’attacher à quelques vérités immuables et particulières, tandis que des esprits plus pénétrants s’élèvent jusqu’à la souveraine vérité, où tout se voit à découvert. Si je mettais mon bonheur à regarder le soleil, et que je pusse le faire constamment sans en être ébloui, combien de fois aurais-je le regret de le perdre, soit qu’il se couche, soit qu’un nuage ou des vapeurs l’enveloppent ! Et lors même que la joie de voir la lumière du jour ou d’entendre une belle voix ne me serait jamais ravie, quel bien si considérable me reviendrait-il d’une chose qui me serait commune avec les bêtes ? Telles ne sont pas les joies qui découlent de l’éternelle sagesse, et telle n’est point la vérité pour ceux qui la cherchent. La vérité n’est pas importunée par la foule de ceux qui vont l’entendre, et n’est pas obligée de les écarter ; elle ne change pas de lieu et ne passe pas avec le temps ; c’est un soleil que les nuits ne nous enlèvent point et que les nuages ne peuvent atteindre. De quelque extrémité du monde que se tournent vers elle ceux qui l’aiment, elle leur devient présente, et son éternelle immensité les embrassera tous. Elle n’est nulle part et ne manque en aucun lieu ; elle avertit au dehors, instruit au dedans, et pas un homme n’a le pouvoir de la corrompre ; personne ne peut juger d’elle, et personne sans elle ne peut bien juger

Augustin, qui avait nourri sa jeunesse de l’étude de la philosophie antique de la Grèce, parle des nombres comme des proportions et des convenances de chaque chose. On sait que Pythagore, cherchant le principe des choses, créa la doctrine des nombres ; il considérait l’univers comme une vaste harmonie : il parvint à cette grande pensée, après avoir reconnu dans le monde physique les proportions et les lois sur lesquelles se fondent la géométrie et l’arithmétique. La notion des nombres représentait pour les pythagoriciens toute figure, toute grandeur ; le nombre et la réalité étaient pour eux inséparables. Ils trouvaient dans les notions morales elles-mêmes je ne sais quelle régularité absolue qui caractérise les combinaisons géométriques. C’est ainsi que la justice se trouvait contenue dans cette formule : Un nombre réputé plusieurs fois semblable à lui-même : par là on fondait la justice sur l’égalité, la réciprocité. Les platoniciens reproduisirent quelques parties de ce système, dont nous ne prétendons pas donner l’explication entière. Augustin en avait conservé des idées qui devaient aider la créature intelligente à s’élever jusqu’à Dieu. D’après lui et aussi d’après Pythagore et Platon, toute chose dans les cieux et sur la terre, dans l’air et dans les eaux, empruntait aux nombres, c’est-à-dire aux proportions, son existence, ses beautés. Le principe des nombres est le principe des êtres, puisque nulle chose n’existe sans être revêtue de nombres. Les nombres et les proportions servent de règles aux hommes, pour donner à la matière diverses formes. Lorsque notre corps, avec ses justes proportions, reste immobile, les nombres sont dans le lieu ; si ce corps nous offre la beauté de ses mouvements, les nombres seront dans le temps. Le nombre a la vie en lui, mais sa demeure n’est point dans les lieux, ni sa durée dans les âges. Élevons notre esprit et nous découvrirons le nombre éternel, et nous verrons la vérité resplendir sur son trône. À mesure que nos yeux deviendront plus purs et plus perçants, nous aurons une vue plus distincte de l’éternelle sagesse.

Ô sublime sagesse ! s’écrie Augustin ; douce et riante lumière d’une intelligence épurée, guide sûr et fidèle, malheur à ceux qui, s’éloignant de vous, s’en vont errer au loin, et qui, aimant mieux les ombres des choses créées que vous-même, ne reconnaissent point les traits de votre main puissante, et les signes que vous nous faites pour nous avertir et nous rappeler sans cesse l’excellence des beautés éternelles ! car ces traits imprimés sur les créatures, c’est toute leur gloire, toute leur séduction. L’artisan, par la beauté de son œuvre, ne semble-t-il pas nous inviter à ne point arrêter trop longtemps notre admiration sur lui, mais à la faire monter plus haut ? O divine sagesse ! ceux dont le cœur se repose sur les créatures sans s’élever jusqu’à vous, sont semblables à des hommes ignorants et grossiers qui, attentifs au discours d’un orateur éloquent, s’extasieraient sur l’agrément de la voix, et l’arrangement des mots, sans se préoccuper du sens des paroles ! Malheur à ceux qui, repoussant les divines splen-