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chapitre dixième.

fléaux. Cette tradition arabe, qui nous rappelle l’admiration des païens de l’Afrique pour saint Augustin, est comme une grande et ancienne image de ce beau génie, restée confusément dans le pieux souvenir des populations de la contrée.

À peu de distance de ce lieu, au penchant du mamelon, se voit le monument de saint Augustin, élevé par les évêques de France : c’est un autel en marbre, surmonté d’une statue en bronze du grand évêque, entouré d’une grille de fer. Augustin, la face tournée vers la place où fut Hippone, semble attendre une nouvelle cité chrétienne, pour la protéger et la bénir. La vue de cette image sur la colline solitaire m’a vivement ému. J’étais allé à Hippone, comme autrefois beaucoup de voyageurs du fond des Gaules, et voilà que je trouvais Augustin.

Le mamelon voisin de la Seybouse est occupé par nos condamnés militaires. Un assez grand pavé de mosaïque en pierre dans la cour de l’atelier, et, sur un autre point du mamelon, quelques pieds de très-belle mosaïque en marbre, donnent à penser que là s’élevaient peut-être d’importants édifices.

Des débris sans nom sont semés çà et là sur l’emplacement de la cité[1].

La description et l’état présent d’Hippone nous ont retenu longtemps. J’étais enchaîné à ce pays par le désir de faire comprendre au lecteur quelque chose de cette ville, de ce lieu qui retentit sans cesse dans l’histoire de saint Augustin. Que ne m’a-t-il été donné au moins de retracer une idée, une ombre de la beauté du paysage d’Hippone, telle qu’elle m’a apparu au mois de mai ! Prairies éblouissantes de fleurs, champs de blé que le soleil n’avait point encore jaunis, aubépines séculaires aux troncs épais qu’il faut compter au nombre des antiquités d’Hippone, arbres et plantes où éclatent la vie et la sève. comment traduire ces frais tableaux sur le papier ? Vu du mamelon de la Seybouse, le mamelon d’Hippone, que nous appellerons la colline du monument de saint Augustin, offre des contours d’une grâce infinie ; il se détache de la plaine avec d’harmonieuses et douces lignes. Cette colline a l’air d’être tombée de la main de Dieu, pour servir de piédestal au plus profond penseur de l’antiquité chrétienne. Elle présente à l’imagination quelque chose de la suavité des formes du génie de saint Augustin. Cet homme, qui voyait dans la création comme dans les arts des degrés pour monter à Dieu, était bien à sa place sur les bords de la Seybouse, au milieu d’une terre charmante, en face de la mer, de l’Edough et de l’Atlas, et la nature était sans doute un des motifs pour lesquels il aimait tant sa chère Hippone.

Rentrons dans les vieux siècles et reprenons notre récit.

L’évêque Valère, Grec de naissance, faiblement instruit dans la langue et les lettres latines, souffrait, dans son zèle pastoral, de ne pouvoir assez efficacement accomplir à l’égard de son troupeau l’œuvre de la prédication. Dieu lui-même sembla lui envoyer l’éloquent Augustin : le pieux évêque d’Hippone recevait l’auxiliaire qu’il avait demandé dans de ferventes oraisons. Jusque-là on n’avait jamais vu en Afrique un simple prêtre prêcher devant un évêque. « Il y a dans certaines églises, dit saint Jérôme, la très-mauvaise coutume que les prêtres ne prêchent point en présence des évêques, comme si les évêques leur portaient envie, ou s’ils ne daignaient pas les écouter[2]. »

Valère viola la coutume africaine en faveur d’Augustin, qu’il chargea particulièrement de l’œuvre de la divine parole. Plusieurs évêques du pays le blâmèrent de cette innovation ; il ne tint aucun compte de leurs murmures et ne consulta que l’intérêt de son Église ; il remerciait Dieu, dit Possidius, de lui avoir miraculeusement amené un homme si capable d’édifier l’Église du Seigneur par de salutaires doctrines. « Ainsi allumé et placé sur le chandelier, dit le biographe de saint Augustin, le flambeau éclairait tous ceux qui étaient dans la maison. » Bientôt après, la conduite de Valère eut de nombreux imitateurs.

Avant d’exercer le ministère sublime auquel l’appelait l’évêque d’Hippone, Augustin, se défiant de lui-même, crut avoir besoin de se préparer par le recueillement, l’étude et la prière ; il écrivit à Valère pour le supplier de lui accorder des jours de retraite, et sa lettre[3] est un monument où se peignent tous les sentiments de son âme à cette époque. Les fonctions sacerdotales sont faciles et douces, quand on se borne à les remplir avec légèreté ; elles

  1. Nulle fouille n’a été faite à Hippone. En deux mois, cinquante travailleurs, conduits avec intelligence, mettraient peut-être en lumière des richesses historiques ; et peut-être saurions-nous à quoi nous en tenir sur l’emplacement de la Basilique de la Paix. Nous avons rapporté plusieurs médailles d’Hippone.
  2. Lettre de saint Jérôme à Nepotianus.
  3. Lettre 21.