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HISTOIRE DE SAINT AUGUSTIN.

ques : la sienne et la nôtre ! Cette idée, qui est entrée bien avant dans notre esprit, nous est d’un puissant secours au milieu des difficultés de l’œuvre que nous avons entreprise.

Augustin ne s’arrête jamais à un seul côté des choses, à des aspects particuliers ; il ne sépare pas une vérité de ses rapports avec d’autres vérités ; il saisit du regard tout ce qui, de près ou de loin, correspond à ce qui l’occupe, et son esprit s’impose l’invariable loi de considérer les diverses parties avec toutes leurs liaisons et toutes leurs dépendances. Chaque fois qu’il aborde une question, il s’élance au sommet de la vérité éternelle, et de ces hauteurs qui lie sont accessibles qu’au génie aidé de la foi, il voit et juge l’ensemble des choses. Augustin a sa montagne, du haut de laquelle il embrasse tout ce qui sort de son sujet, comme on se place sur un point élevé pour découvrir et reconnaître tous les aspects, tous les mouvements, toutes les harmonies d’un grand tableau de la création.

Le Livre De la véritable Religion est un vaste coup d’œil du génie sur la révélation chrétienne. L’éloquence y répand souvent ses vives couleurs ; une onction véritable vous y pénètre ; on y sent remuer les entrailles d’Augustin. Dans sa rapidité, ce livre est une œuvre-mère, où philosophes et théologiens peuvent puiser à pleines mains. En cherchant à arracher les manichéens aux liens de la matière, à ce monde corporel qui envahissait et absorbait leur entendement, qui les étreignait et les emprisonnait comme dans un étroit cachot, Augustin nous aide nous-mêmes à secouer le joug des sens, à percer, en quelque sorte, le mur de cet univers que les passions mettent à la place de Dieu, et derrière lequel s’étendent les régions lumineuses du spiritualisme. L’auteur du livre De la véritable Religion se proposait de faire connaître le christianisme à un ami, sans se préoccuper de prouver notre foi. Or tel est l’empire de la vérité religieuse, qu’Augustin, voulant seulement exposer la croyance évangélique, l’a prouvée invinciblement.

Antoine Arnauld, le célèbre auteur du livre Sur la fréquente Communion, l’adversaire redoutable des calvinistes, un des plus savants hommes et des plus forts esprits du s|xvii}}, qui consuma en de tristes disputes une belle et puissante énergie, a parlé du livre De la véritable Religion dans les termes suivants :

« Je n’ai pas besoin de le rendre recommandable par mes paroles : la lecture en fera assez reconnaître l’excellence, et je ne doute point qu’il ne donne sujet, autant ou plus que pas un autre, d’admirer la grandeur prodigieuse de l’esprit et les lumières extraordinaires de cet homme incomparable.

« Car qui n’admirera qu’estant entré depuis si peu de temps dans la connaissance des mystères de la religion chrétienne, et n’ayant point encore d’autre qualité dans l’Église, que celle de simple fidelle, il ait pu parler d’une manière si noble et si relevée de cette religion divine, qu’un Dieu mesme est venu establir sur la terre, et former une si excellente idée de son éminence et de sa grandeur, que ce n’est pas peu de suivre des yeux le vol de cet aigle, de pénétrer la solidité de ses raisonnements admirables, et de contempler les hautes vérités qu’il propose, sans estre esbloui d’une si esclatante lumière ?[1] »

Nous n’aurions garde de prendre Antoine Arnauld pour guide dans les matières de la grâce ; mais nous aimons à citer son jugement sur la valeur d’un père de l’Église.

Le livre De la véritable Religion fut composé en 390. Augustin, à la date de cette année, l’annonçait à Romanien[2] avec une remarquable simplicité de paroles : « J’ai composé, lui disait-il, quelque chose sur la religion catholique, autant que le Seigneur a daigné me le permettre ; j’ai le dessein de vous l’envoyer avant d’aller vers vous, pourvu que le papier ne me manque pas ; vous voudrez bien vous contenter d’une écriture quelconque, sortie de l’officine de ceux qui sont avec moi[3]. » En commençant sa lettre, écrite sur un mauvais morceau de parchemin, Augustin disait à son ami que le papier lui manquait, qu’il n’était guère mieux monté en parchemin, et qu’il avait employé ce qui lui restait de tablettes d’ivoire pour écrire à l’oncle de Romanien. Il y avait chez Romanien des tablettes qui appartenaient à Augustin : celui-ci le prie de les lui renvoyer, parce qu’il en a besoin. Ces petits détails intimes, mêlés à d’aussi grandes choses, ont du charme pour nous. Augustin, qui ne

  1. Au lecteur du livre De la véritable Religion. 1 vol. in-8o. Paris, 1647.
  2. Lettre 15.
  3. Cette dernière phrase se présente de diverses manières dans les différentes éditions des Œuvres de saint Augustin ; la voici : Tolerabii enim qualemcumque scripturam ex officina majorum, ou bien : es officina meorum, ou bien encore : ex officina Majorini. Nous avons adopté la seule version qui nous ait paru offrir un sens raisonnable.