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chapitre neuvième.

futur repos le soutient dans ses travaux. Qu’y a-t-il qui puisse lui nuire, puisqu’il tire avantage même de ses ennemis ? Celui qui lui commande d’aimer ses ennemis, et dont la grâce les lui fait aimer, le met au-dessus de la crainte de leurs attaques. C’est peu que cet homme ne soit point contristé par les tribulations ; bien plus, elles lui sont un sujet de joie ; il sait que « l’affliction produit la patience, la patience l’épreuve, l’épreuve l’espérance, et que notre espérance ne nous trompe point, parce que la charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit-Saint qui nous a été donné[1]. » Qui donc lui nuira ? Qui le vaincra ? L’homme qui, au milieu des choses prospères, s’est avancé dans la vertu, reconnaît, quand le malheur arrive, quel a été son progrès. Tant que les biens périssables abondent entre ses mains, il n’y met pas sa confiance ; mais c’est quand il les perd qu’il reconnaît si ces biens n’avaient pas pris son cœur. Tant que les biens de la vie sont en notre possession, nous croyons ne pas les aimer ; lorsqu’ils commencent à nous quitter, nous découvrons qui nous sommes ; car on ne possédait pas avec amour ce qu’on voit partir sans douleur. »

Ce portrait de l’homme de bien sur la terre aurait excité les transports des anciens philosophes d’Athènes et de Rome. Il nous semble que la situation de ce juste était celle d’Augustin lui-même depuis sa transformation, et le solitaire de Thagaste n’a eu qu’à peindre à son insu l’état de son âme pour montrer à son ami Romanien ce que c’est que le sage du christianisme.

Dans les derniers chapitres de son ouvrage, Augustin prouve ingénieusement que les trois vices : volupté, orgueil et curiosité, donnent eux-mêmes de salutaires avertissements à l’homme, et sont comme la corruption de trois instincts sublimes. On cherche dans la volupté un calme, un doux repos qu’on ne saurait trouver qu’en Dieu. L’orgueil a quelque chose de l’unité et de la toute-puissance, mais ce n’est que pour dominer dans le cours des choses temporelles qui passent. Nous voulons être puissants, invincibles, et nous avons raison de le vouloir, puisque la nature de notre âme a cela de commun avec Dieu à l’image de qui elle est faite. L’observation des préceptes divins nous donnerait cette grande force : celui-là demeure invincible à qui nul ne peut enlever ce qu’il aime. Quant à la curiosité, c’est une corruption de cette passion pour la -vérité, la plus noble des passions de l’homme, que nous cherchons à satisfaire à travers les spectacles et toutes les images de la terre.

En terminant son livre, le fils de Monique exhorte les hommes ses frères à courir avec ardeur vers la sagesse éternelle, à fuir les erreurs religieuses qui, à cette époque, disputaient l’empire au christianisme. L’homme ne doit pas établir sa religion dans ses imaginations et ses fantômes, car la moindre chose véritable vaut mieux que toutes nos inventions. Il ne faut adorer ni les ouvrages humains, ni les bêtes inférieures à l’homme, ni les morts, comme le faisaient les païens en les plaçant au rang des dieux pour prix de leurs vertus. Il ne faut point adorer les démons, la terre et les eaux, ni l’air qui tout à coup devient sombre dès que la lumière se retire, ni les corps célestes qui, malgré tout leur éclat, demeurent au-dessous de la vie la plus imparfaite, ni les plantes et les arbres dépourvus de sentiment, ni même l’âme raisonnable qui est plus ou moins parfaite en raison de sa soumission plus ou moins entière à l’immuable vérité. Le dernier des hommes doit adorer ce qu’adore le premier des anges : Dieu, créateur de l’univers et de l’homme, mérite seul les hommages de notre intelligence. La domination humaine a beau s’armer de tyrannie, elle ne saurait empêcher notre pensée de planer dans une entière liberté. Mais nous devons redouter le joug des esprits du mal, parce que ce joug s’étendrait jusque sur notre âme, jusque sur cet œil unique par lequel nous pouvons connaître et contempler la vérité.

Tel est en substance le livre De la véritable Religion. Romanien se fit chrétien après l’avoir lu. D’autres contemporains en furent vivement frappés. Les hommes de notre temps qui liront l’ouvrage en entier en recevront une impression profonde. Avec des modifications diverses, la plupart des erreurs ou des systèmes contre lesquels s’armait Augustin ont reparu dans notre monde moral, et ce livre convient à notre âge aussi efficacement qu’il convenait aux générations du quatrième et du cinquième siècle. Lorsque nous considérons le travail que fait parmi nous la vérité, il nous semble que les enseignements du grand Augustin avaient été providentiellement marqués pour la régénération particulière de deux épo-

  1. Rom., v. 3-5.