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HISTOIRE DE SAINT AUGUSTIN.

personne n’osa plus jurer par un chien ni donner le nom de Jupiter aux pierres qu’on rencontrait. On se contenta de consigner dans les livres les maximes du maître, et de les conserver dans la mémoire des hommes.

Augustin ne veut pas examiner quels motifs ont pu porter les philosophes d’Athènes à cacher leur véritable doctrine ; est-ce la crainte de la mort, est-ce l’inopportunité du temps ? Il se dispense de juger cette question ; mais, sans offenser les platoniciens de son époque, il ose assurer que l’heure est venue où nul ne peut plus mettre en doute la vraie religion, la vraie voie qui mène à la béatitude.

Platon enseignait que la vérité ne se voit point par les yeux corporels, mais par un esprit purifié ; que la corruption des mœurs et les images des choses sensibles éloignent du vrai et engendrent dans l’esprit une multitude de fausses opinions ; qu’il faut d’abord guérir notre âme pour qu’elle contemple la forme immuable des choses, la beauté inaltérable qui ne reçoit ni étendue par les lieux, ni changement par les temps, cette beauté que les hommes nient et qui pourtant possède seule l’être souverain et véritable par lequel subsistent toutes les choses dont la durée s’écoule devant nous. D’après l’enseignement de Platon, l’âme raisonnable peut seule jouir, être touchée de la contemplation de l’éternité divine, en tirer son éclat et mériter une vie heureuse. Mais l’âme raisonnable, se laissant atteindre par l’amour et la douceur des choses passagères, s’attachant à la longue accoutumance de cette vie, et aux sens du corps, se perd à la fin. dans le vague chimérique de ses imaginations, au point de ne plus comprendre et de tourner en dérision ceux qui proclament l’existence d’un être éternel, visible seulement à l’œil de l’intelligence.

Voilà ce que Platon s’efforçait de persuader à ses disciples.

Si donc un de ses disciples fût venu un jour lui dire : « Maître, n’accorderiez-vous pas les honneurs divins à un homme qui persuaderait aux peuples de croire ces vérités sans les comprendre, et qui inspirerait à ses disciples la force de ne pas céder au courant des opinions vulgaires ? » — Platon aurait répondu qu’aucun homme ne pourrait accomplir une telle œuvre, à moins que la Sagesse de Dieu n’en choisît un, et ne l’unît à elle-même : après avoir éclairé cet élu dès le berceau, non par des instructions humaines, mais par l’infusion d’une lumière secrète et intérieure, il faudrait que la divine Sagesse embellît son âme de grâces, la fortifiât d’une constance si ferme, et enfin l’élevât à un tel point de grandeur et de majesté, que, méprisant ce que les autres hommes souhaitent, supportant tout ce qu’ils craignent, faisant tout ce qu’ils admirent, il pût changer le monde entier, et l’entraîner à une croyance salutaire par la puissance de l’amour et par une irrésistible autorité.

Ainsi aurait répondu Platon :

« Or, s’écrie éloquemment Augustin, si ce que Platon eût dit est réellement arrivé ; si tant de livres et d’ouvrages le publient ; si d’une des provinces de la terre, la seule fidèle au vrai Dieu, et dans laquelle devait naître l’homme admirable dont nous avons parlé, Dieu a tiré des hommes et les a envoyés à travers l’univers pour y allumer les flammes de l’amour céleste par leurs paroles et leurs miracles ; s’ils ont laissé après eux la lumière de la foi répandue dans toute la terre, et, pour ne pas parler des choses passées, si l’on prêche publiquement aujourd’hui dans tous les pays et à tous les peuples que le Verbe était dans le commencement, que le Verbe était en Dieu, que le Verbe était Dieu, qu’il était des le commencement dans Dieu, que tout a été fait par lui, et que rien n’a été fait sans lui ; si on prêche le mépris des trésors de la terre et si on invite à amasser des trésors dans le ciel ; si on prêche une morale sublime à tous les peuples et s’ils l’écoutent avec respect et plaisir ; si le sang de tant de martyrs a fécondé et multiplié les Églises jusqu’aux pays les plus barbares ; si on ne s’étonne plus maintenant de voir des milliers de jeunes hommes et de vierges vivre dans la continence, au lieu que Platon, par la crainte de l’opinion de son siècle, n’osa point prolonger la chaste vie qu’il avait commencée, et fit un sacrifice à la nature pour expier cette faute ; s’il n’est plus permis maintenant de douter de ces maximes, qu’on ne pouvait d’abord proposer sans extravagance ; si dans les villes, les bourgs, les villages, les campagnes, on prêche ouvertement et puissamment le détachement des choses de la terre, la nécessité de tourner son cœur vers le seul et vrai Dieu ; si dans le monde entier les hommes répètent qu’ils ont le cœur élevé vers le Seigneur<ref>Sursum corda ; habemus ad Dominum. (Paroles de la Préface de la Messe,)}} ; pourquoi demeurer dans l’assoupissement de l’ignorance