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chapitre huitième.

l’évêque Mémorius avait demandé cet ouvrage à l’évêque d’Hippone. Celui-ci, dans sa réponse[1], s’excusait de ne l’avoir point encore envoyé ; il désirait le corriger, mais le poids des affaires ne lui en laissait pas la liberté. Les six livres traitent seulement du temps et du mouvement ; saint Augustin avait le projet d’ajouter encore six autres livres sur la modulation : il dit à Mémorius que, depuis qu’il a été chargé des soins de l’épiscopat, toutes ces charmantes frivolités lui sont tombées des mains. Il ne savait même pas à cette époque s’il pourrait retrouver ce qu’il avait fait. Saint Augustin regarde les cinq premiers livres comme fort difficiles à entendre, à moins qu’on n’ait quelqu’un qui non-seulement puisse distinguer ce qu’il faut dire à chacun des interlocuteurs, mais encore qui puisse faire sonner les longues et les brèves ; en sorte que les différentes proportions des nombres s’entendent et frappent l’oreille. Cela est d’autant malaisé, ajoute-t-il, que les sons des mots apportés en exemple sont entremêlés de certains silences mesurés qu’on ne saurait reconnaître, à moins d’être aidé par un homme qui prononce selon les règles.

En adressant à Mémorius le sixième livre, le seul qu’il eût trouvé, il lui disait modestement que les cinq premiers ne valaient pas la peine d’être lus ni étudiés. Il est vrai, d’ailleurs, que le sixième livre est comme un résumé des cinq premiers. Il termine ainsi sa lettre : « Je n’ai point marqué les mesures des vers de David, parce que je les ignore. Je ne sais pas l’hébreu, et le traducteur n’a pu faire passer les mesures dans sa version, de peur de nuire à l’exactitude du sens. Au reste les vers hébreux ont des mesures certaines, si j’en crois ceux qui entendent bien cette langue ; car le saint Prophète aimait la pieuse musique, et c’est lui, plus que tout autre, qui m’a inspiré un goût si vif pour ces sortes d’études. »

Il n’y a peut-être pas quatre hommes en Europe qui aient lu les six livres de saint Augustin sur la musique. Cet ouvrage, plein de choses ingénieuses et profondes et qui n’a point reçu, au grand regret de la postérité, le complément que l’auteur avait en vue, est un curieux monument de l’état de l’art dans ces âges reculés. Augustin s’y montre grand artiste par la savante étude des formes et des puissances de l’harmonie, et grand poète par la façon dont il la rattache à l’âme humaine et la fait monter à Dieu comme à sa source et à son principe éternel.

Parmi les ouvrages que produisit Augustin à cette époque, il en est un qui est surprenant le livre De la véritable Religion. Le fils de Monique, nouveau venu dans la milice évangélique, remue les questions chrétiennes avec une puissance qui semblerait ne devoir appartenir qu’aux vieux athlètes de la foi. On sent monter comme une sève d’inspiration et de vérité dans ce jeune génie qui s’épanouit sous le soleil du christianisme. Nous parlerons avec étendue du livre De la Religion pour que nos lecteurs puissent tirer profit des pensées et des raisonnements qui s’y trouvent renfermés. L’auteur va toujours au fond des choses ; il prend toujours les questions par les racines, et quand on désire faire connaître une œuvre de ce penseur abondant et profond, il faut bien se garder d’une analyse superficielle.

Au milieu des nations polythéistes, il y avait des sages ou philosophes qui professaient sur la divinité des idées différentes de celles du peuple, et qui cependant se mêlaient au peuple, au pied même des autels, sous les voûtes des mêmes temples. Leur pensée propre était opposée aux doctrines qu’ils avaient l’air de pratiquer extérieurement. Socrate jurait par un chien, par une pierre, par le premier objet qui frappait son regard. Les moindres ouvrages de la nature étaient produits par l’ordre de la divine Providence ; ces ouvrages lui paraissaient meilleurs et plus dignes d’adoration que les dieux sortis du ciseau de l’ouvrier. Par là, Socrate voulait avertir les hommes de leur erreur, et ramener leur esprit vers la suprême Divinité ; il leur montrait aussi combien il était insensé d’imaginer que ce monde visible fût Dieu lui-même, puisque la moindre parcelle de ce monde, une pierre ou un morceau de bois, eût alors mérité les hommages des mortels comme faisant partie de la Divinité. Socrate proclamait ainsi la croyance à un Dieu unique, auteur des âmes et du monde visible.

Platon écrivit ensuite d’une manière plus attrayante pour plaire, dit Augustin, que puissante pour persuader ; car, ajoute-t-il, Dieu n’avait point appelé ces sages à convertir les peuples, à les faire passer de la superstition des idoles et de cette folie universelle au culte du vrai Dieu. Socrate adorait les mêmes idoles que le peuple. Depuis sa condamnation et sa mort,

  1. Lettre 101.