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chapitre septième.

des manichéens pour faire tomber leurs mensonges devant le monde, et faire germer dans leurs âmes des sentiments meilleurs. Il ne s’emportait point contre les erreurs des manichéens, mais elles lui inspiraient une compassion profonde.

Cette douceur de langage, jointe à l’autorité que donnait à Augustin son passé avec les manichéens, était propre à ramener les sectaires de bonne foi. Il y a dans la modération une grande puissance pour mener à la vérité, et cette puissance de miséricorde et d’amour ne quittera jamais les écrits d’Augustin. Dans les luttes de toute sa vie contre les dissidents, sa bonté achevait ce qu’avait commencé la vigueur de sa parole. Lorsqu’on a été faible soi-même, on traite doucement les faibles. Deux choses vous rendent indulgent : l’expérience des infirmités de l’humaine nature, ou la connaissance profonde de ses infirmités. Augustin avait ces deux choses, et voilà pourquoi il s’est montré si compatissant pour les hommes.




CHAPITRE HUITIÈME.




Correspondance entre saint Augustin et Nébride. — Mort d’Adéodat. — Les six livres sur la musique. Le livre de la véritable Religion.

La retraite d’Augustin aux environs de Thagaste était trop voisine de la ville pour que sa solitude fut respectée. Dans une lettre écrite vers la fin de l’année 388, Nébride plaint son ami d’être livré aux importunités de ses compatriotes qui lui prenaient son temps et ses forces ; pourquoi les amis d’Augustin ne s’occupaient-ils pas de protéger ses loisirs ? À quoi songent donc Romanien et Lucinien ? « Que les importuns m’entendent, dit Nébride ; moi je crierai, moi j’annoncerai que vos amours, c’est Dieu ; que votre goût, c’est de le servir et de vous attacher à lui. Je voudrais vous emmener dans ma maison des champs et vous y mettre en repos. Je ne craindrai point de passer pour un ravisseur auprès de tous ces gens que vous aimez trop et qui vous aiment tard. »

Il nous reste des fragments d’une correspondance philosophique entre Nébride et Augustin, qui se rapporte à l’année 389. Nébride pose à son ami diverses questions : la mémoire peut-elle agir sur l’imagination ? Est-ce des sens ou d’elle-même que l’imagination tire les images des choses ? Comment les démons peuvent-ils envoyer aux hommes des songes et des illusions nocturnes ? Qu’est-ce que les chrétiens entendent par l’union mystérieuse qui s’est faite entre la nature divine et la nature humaine ? Pourquoi le fils s’est-il incarné plutôt que le père ? L’âme, outre le corps auquel elle est unie, n’en a-t-elle point quelque autre plus subtil et dont elle soit inséparable ? Puisque les hommes, quoique différents les uns des autres, font néanmoins les mêmes choses, pourquoi le soleil ne fait-il pas la même chose que les autres astres ? La sagesse suprême et éternelle renferme-t-elle en soi l’idée de chaque homme en particulier ? Augustin répond à toutes ces questions avec pénétration et vivacité.

Nébride l’accuse tendrement de ne pas songer assez aux moyens de passer leur vie ensemble. Augustin se défend de ce reproche qui afflige son cœur. Dans sa situation nouvelle, il est mieux là où il est maintenant, qu’il ne le serait à Carthage ou aux environs de Carthage. Il ne sait comment faire avec Nébride[1]. Lui enverra-t-il une voiture pour l’amener dans sa retraite ? Mais Nébride est malade, et sa mère, qui ne voulait pas le laisser partir en bonne santé, le voudra bien moins dans l’état de souffrance et de faiblesse où il se trouve. Faut-il qu’Augustin aille le joindre ? Mais il a des compagnons de solitude qu’il ne saurait emmener et qu’il ne croit pas devoir quitter ; Nébride est capable de converser utilement avec lui-même, et les jeunes compagnons d’Augustin n’en sont pas encore là. Faut-il qu’il aille et qu’il vienne, et qu’il soit tantôt avec Nébride et

  1. Lettre 10.