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LETTRES ÉCRITES AVANT L’ÉPISCOPAT.

semble, j’espérai pleinement qu’ils s’amenderaient, et je cessai de parler.

8. Le lendemain, au lever du jour où ils avaient coutume de se préparer à boire et à manger, on m’annonça que quelques-uns d’entre eux, de ceux-là même qui avaient assisté à mon discours, murmuraient encore, et que, sous l’empire d’une très-mauvaise coutume, ils disaient : « Pourquoi maintenant ? Ceux qui jusqu’ici n’ont pas défendu ces choses n’étaient donc pas chrétiens ? » Je ne savais pas à quels plus grands moyens je pouvais recourir pour les toucher ; cependant je songeais, en cas de persistance, à leur lire le passage du prophète Ézéchiel[1], où il est dit que la sentinelle est absoute si elle a dénoncé le péril, quand même ceux à qui elle le dénonce refuseraient d’y prendre garde ; et puis après j’aurais secoué sur eux mes vêtements et je me serais retiré, mais alors le Seigneur montra qu’il ne nous abandonne point et par combien de moyens il nous exhorte à nous confier à lui ; car avant l’heure où je devais monter en chaire, ceux-là même qui, d’après ce qu’on m’avait dit, s’étaient plaints qu’on eût attaqué une ancienne coutume, vinrent me trouver ; je leur fis un doux accueil ; quelques mots suffirent pour les amener à de saines idées ; et, quand le temps de parler fut venu, je mis de côté le passage que je m’étais proposé de lire et qui ne me paraissait plus nécessaire ; je me bornai à peu de choses sur la question ; à ceux qui disent : « Pourquoi maintenant ? » nous n’avons rien de plus court ni de plus vrai à répondre que ceci : « Au moins maintenant. »

9. Toutefois, pour mettre à l’abri de tout reproche nos devanciers, qui avaient permis ou n’avaient pas osé défendre ces désordres manifestes d’une multitude ignorante, j’exposai comment il me paraissait que ces désordres avaient commencé dans l’Église : après les nombreuses et violentes persécutions, lorsque, la paix faite, les païens accourant en foule au christianisme n’étaient plus retenus que par le regret de perdre les festins joyeux des jours de fêtes consacrés à leurs idoles, et semblaient ne pouvoir s’arracher à ces anciens et pernicieux plaisirs, nos ancêtres trouvèrent bon de compatir à cette faiblesse et permirent qu’on célébrât, non point par un pareil sacrilège, mais par les mêmes profusions, les solennités en l’honneur des saints martyrs ; mais d’anciens serviteurs du Christ, soumis au joug d’une autorité si haute, doivent être rappelés aux préceptes salutaires de la sobriété, et ne sauraient y manquer par respect et crainte de celui qui ordonne. Il est temps que ceux qui n’osent pas ne pas se dire chrétiens commencent à vivre selon la volonté du Christ, et qu’ils repoussent, étant chrétiens, ce qu’on avait cru pouvoir permettre pour qu’ils le devinssent.

10. Ensuite, j’engageai à imiter les Églises d’outre-mer qui, les unes, n’ont connu jamais rien de pareil, et les autres y ont renoncé par, les soins de bons conducteurs[2]. Et comme on cite les exemples des festins qui ont lieu chaque jour dans la basilique du bienheureux apôtre Pierre, je dis d’abord qu’ils avaient été souvent défendus, que la place de ces festins est éloignée de l’endroit où se tient l’évêque, que la multitude des gens charnels est grande dans une ville comme Rome, surtout à cause des étrangers qui s’attachent à cette coutume en raison même de leur ignorance, et que tout cela réuni n’avait pu encore permettre de réprimer et d’éteindre cette effroyable peste. Du reste, si nous honorions l’apôtre Pierre, nous devrions suivre ses préceptes et plus dévotement prendre garde à l’épître où sa volonté nous apparaît, qu’à la basilique où elle ne nous apparaît pas. Et aussitôt, prenant le livre, je lus tout haut l’endroit où il dit : Le Christ « ayant souffert pour nous la mort en sa chair, armez-vous de cette pensée que celui qui est mort comme lui dans sa chair a cessé de pécher ; en sorte que, durant tout le temps qui lui reste de cette vie mortelle, il ne vive plus selon les passions des hommes, mais selon la volonté de Dieu. Car il vous doit bien suffire que dans le temps de votre première vie, vous vous soyez abandonnés aux mêmes passions que les païens, vivant dans les impudicités, dans les mauvais désirs, dans les ivrogneries, dans les banquets de dissolution et de débauche, dans les excès de vin et dans le culte sacrilège des idoles[3]. » Après cela, comme je m’apercevais que la mauvaise coutume était méprisée et que tous se réunissaient dans une bonne volonté, je les exhortai à se trouver à midi aux saintes lectures et aux psaumes, de manière à célébrer ce jour plus purement et plus saintement qu’autrefois, et je leur dis que le nombre de ceux qui seraient présents

  1. Ezéchiel, XXXIII, 9.
  2. Voir ci-dessus : Confes. liv. VI, ch. 2.
  3. I Pierre, IV, 1, 2, 3.