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chapitre septième.

de l’eau, passant leurs jours à s’entretenir avec Dieu, à contempler sa beauté souveraine avec l’œil d’une intelligence épurée, ont été accusés d’excès dans la vertu, accusés aussi de s’être rendus inutiles aux hommes, comme si leurs prières n’attiraient pas des bénédictions sur le monde, comme si l’exemple d’une telle vie n’était pas puissant pour inspirer l’amour du bien !

Augustin ne parlera point des solitaires, quoique les manichéens n’eussent guère pu continuer à vanter leur tempérance, à côté de ces anachorètes catholiques qu’on accuse d’avoir passé les bornes de la faiblesse humaine ; il citera ceux qui, réunis en communauté et dans des conditions moins supérieures aux forces de l’homme, vivent humbles, doux et tranquilles, dans la chasteté, les prières, les lectures et les conférences spirituelles. Nul d’entre eux ne possède quoi que ce soit, mais le travail de leurs mains leur donne une paisible indépendance. À mesure qu’ils achèvent un ouvrage, ils l’apportent à leur doyen ; c’est ainsi qu’ils appellent le chef de chaque dizaine, car les religieux étaient partagés en dizaines. Le doyen (decanus) épargne aux religieux tous les soucis temporels ; il leur fournit chaque chose dont ils ont besoin, avec une parfaite exactitude, et rend compte de tout au père ou à l’abbé. À la fin du jour chacun sort de sa cellule pour se rendre auprès du père ; plus d’une communauté réunit trois mille moines et même davantage. Le père adresse la parole à tous ces religieux rangés autour de lui ; ils l’écoutent dans un merveilleux silence, et l’impression que fait en eux son discours n’éclate que par les soupirs et les larmes. Si quelque mouvement extraordinaire d’une joie toute sainte leur arrache des paroles, c’est avec tant de modestie et si peu de bruit, qu’on ne s’en aperçoit pas. Après l’exhortation, ils vont prendre leur nourriture, bien simple et bien frugale : la viande et le vin en sont bannis. Le superflu du produit des ouvrages de la communauté est distribué aux pauvres. Ces religieux travaillent tant et dépensent si peu pour leur vie, qu’ils peuvent souvent envoyer des navires chargés de vivres aux lieux où règne la misère. Mais, ajoute Augustin, nous avons assez parlé de ce qui est connu de tout le monde.

Il y avait aussi des communautés de femmes chastes, sobres et laborieuses : elles filaient et tissaient des étoffes pour se vêtir elles et leurs frères, qui, de leur côté, en échange des vêtements, leur fournissaient des vivres. Ce n’étaient point les jeunes religieux, mais les plus sages et les plus éprouvés des vieillards qui apportaient ces provisions ; ils les déposaient à l’entrée du monastère, sans aller plus avant. « Quand je voudrais, dit Augustin, entreprendre de louer de telles mœurs, une telle vie, un tel ordre, une telle institution, je ne saurais le faire dignement ; je craindrais de donner à penser que le fond des choses n’est pas d’assez grand prix pour se soutenir par soi-même, et qu’il ne suffit pas de l’avoir exposé, si on ne le relève encore par les ornements de l’éloquence. »

Mais la pureté des mœurs et la sainteté de l’Église catholique ne sont pas renfermées dans d’aussi étroites bornes. Parmi les évêques, les prêtres, les diacres et les autres ministres chargés de la dispensation des saints mystères, que d’hommes vraiment saints. Leur vertu est d’autant plus admirable qu’il est plus difficile de la conserver dans le commerce du monde et dans l’agitation de la vie qu’on y mène. Ceux qu’ils ont à conduire ne sont pas des gens qui se portent bien ; mais dès malades à guérir. Il faut même supporter les vices des peuples avec beaucoup de patience, si on veut en venir à bout ; avant de se trouver en état de remédier au mal, on est souvent forcé de le tolérer longtemps. Or il en coûte de conserver, au milieu du trouble des affaires humaines, le calme de l’esprit et un genre de vie réglé. Les solitaires sont où l’on vit bien ; les évêques et les prêtres sont où l’on ne fait qu’apprendre à bien vivre.

Augustin passe aux cénobites qui vivent dans les villes. « J’en ai vu, dit-il, à Milan, un très-grand nombre ; ils vivaient saintement dans une même maison, sous la conduite d’un prêtre docte et pieux. J’ai encore vu à Rome plusieurs de ces monastères, dont chacun est gouverné par celui de tous qui a le plus de sagesse et de connaissance des choses de Dieu. On s’y montre exactement et constamment soumis aux règles de la charité et de la sainteté chrétiennes, et en même temps on y vit dans la liberté que Jésus-Christ nous a acquise. Ces religieux ne sont à charge à personne, pas plus que les premiers dont j’ai parlé ; ils vivent du travail de leurs mains, selon la coutume des Orientaux et à l’exemple de saint Paul. J’ai su que quelques-uns pous-