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qu’on n’y croirait pas ce qu’on ne voudrait pas, s’il était reçu une seule fois que les hommes de la main de qui nous tenons les livres saints aient pu mentir officieusement : à moins que par hasard vous nous donniez certaines règles qui nous apprennent où il faut mentir, où il ne le faut pas. Si cela se peut, dites-le-nous, je vous prie, par des raisons où le faux et le douteux n’entrent pour rien. Ne m’accusez ni d’importunité ni d’audace, je vous le demande au nom de la vérité faite homme dans Notre-Seigneur ; car une erreur de ma part qui profiterait à la vérité ne serait pas une grande faute, si on pouvait trouver bien que chez vous la vérité favorisât le mensonge.

6. Il y a beaucoup d’autres choses dont mon cœur aimerait à entretenir le vôtre ; il me serait doux de conférer avec vous sur les études chrétiennes ; mais il n’y a pas de lettre qui suffise à mon désir. Ces entretiens que je souhaite, je les obtiendrai avec des fruits plus abondants par l’intermédiaire du frère que je me réjouis de vous envoyer, et qui se nourrira de vos doux et utiles discours. Et cependant, s’il me permet de le dire, il n’en prendra peut-être pas autant que j’en voudrais, quoique je ne me mette en rien au-dessus de lui. Je m’avoue plus capable de contenir ce qui me viendrait de vous, mais, lui, je le vois de jour en jour avec la plénitude des meilleurs dons, et par là il me surpasse sans aucun doute. À son retour qui, Dieu aidant, je l’espère, sera heureux, lorsque je participerai aux trésors que votre cœur aura répandus dans le sien, il ne remplira pas pour cela tout le vide qui restera encore en moi, et ne rassasiera point mon esprit avide de vos pensées. Et je demeurerai ainsi plus pauvre et lui plus riche. Le même frère emporte quelques-uns de mes écrits ; si vous daignez les lire, je vous prie de me traiter avec une sincère et fraternelle sévérité. Il est écrit : « Le juste me corrigera dans sa miséricorde, et me reprendra ; mais que l’huile du pécheur ne touche point ma tête[1] ; » tout le sens de ces paroles (je ne les comprends pas autrement), c’est que celui qui reprend pour guérir nous aime mieux que celui qui parfume notre tête avec l’huile de la flatterie. Pour moi, il m’est difficile de bien juger ce que j’ai écrit ; je le fais avec trop de défiance ou trop d’amour. Je vois quelquefois mes fautes, mais je préfère que de meilleurs que moi me les fassent apercevoir, voir, de peur que peut-être, après m’être repris avec raison moi-même, je ne vienne à me flatter encore, et que je ne sois tenté de croire que j’ai mis dans mon jugement plus de timidité que de justice.

LETTRE XXIX[2].

(Année 395.)

Des festins désordonnés avaient lieu dans les églises d’Afrique aux jours solennels des fêtes des saints. Saint Augustin, encore simple prêtre, chargé par Valère de la prédication de la parole divine, voulait faire cesser une coutume aussi opposée à l’esprit chrétien. Il l’entreprit et y parvint par son éloquence. On verra dans cette lettre l’intéressant et dramatique tableau du prêtre armé des saintes Écritures, en face d’un peuple fortement attaché à un usage où les appétits grossiers étaient en jeu. La vérité et les passions sont en présence, l’émotion va croissant, les larmes de l’auditoire précèdent les larmes de l’orateur, et l’éloquence remporte une de ses plus belles victoires. Mais avec quelle sainteté Augustin nous raconte cette journée !

LETTRE DU PRÊTRE D’HIPPONE À ALYPE, ÉVÊQUE DE THAGASTE, SUR LE JOUR DE LA FÊTE DE LÉONCE[3], JADIS ÉVÊQUE D’HIPPONE.

1. En l’absence de notre frère Macaire, dont le retour, dit-on, sera prochain, je n’ai pu vous écrire rien de certain sur cette affaire que je ne saurais négliger, et que nous mènerons à bonne fin, Dieu aidant. Les citoyens nos frères qui étaient là vous informeront assurément de notre sollicitude pour eux ; pourtant la grâce que le Seigneur nous a accordée est digne aussi d’occuper une place dans ce commerce de lettres par lequel nous nous consolons l’un et l’autre ; nous croyons que votre sollicitude nous a beaucoup aidés pour l’obtenir, et qu’elle n’a pu se dispenser de prier pour nous.

2. C’est pourquoi ne voulant rien laisser ignorer à votre charité de ce qui s’est passé, et pour que vous rendiez grâces à Dieu avec nous d’un tel bienfait, je vous dirai qu’après votre départ, ayant appris qu’il y avait du tumulte et que le peuple déclarait ne pouvoir souffrir l’interdiction de la solennité à laquelle il donne le nom de réjouissance au lieu de son vrai nom d’ivrognerie qu’il s’efforce de cacher, une secrète disposition du Dieu tout-puissant nous présenta comme sujet de discours, à la quatrième férie, ce passage de l’Evangile

  1. Psaume CXL, 5.
  2. Cette lettre de saint Augustin, tirée d’un manuscrit des religieux de Cîteaux du monastère de Sainte-Croix-en-Jérusalem, à Rome, a été publiée pour la première fois par les Bénédictins.
  3. Saint Léonce appartient à la seconde moitié du troisième siècle ; il fit bâtir à Hippone une église qui porta son nom, et dans laquelle saint Augustin avait prêché.